Dans la foulée de notre grand dossier consacré au parcours du soldat Évariste Lagacé, et à l’approche du 70e anniversaire de la fin de la campagne d’Italie, Sébastien Vincent propose un bilan de cette campagne oubliée, de même que quelques sources utiles pour aller plus loin.

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La campagne d’Italie, entamée dans la nuit du 9 au 10 juillet 1943, prend fin le 2 mai 1945 à 18 h, six jours avant la reddition de l’Allemagne. Pendant plus de 20 mois, les combats furent âpres.

Un des premiers résultats de l’invasion alliée de la Sicile a été le renversement du dictateur Benito Mussolini.

Globalement, la campagne ne fut pas toujours un succès. Après la reddition de l’Italie le 3 septembre 1943, les troupes allemandes ont résisté très efficacement, notamment autour des lignes de défense Hitler et Gothique. Par ailleurs, la campagne a été marquée par une série de victoires défensives de l’Allemagne, entrecoupée d’avances alliées, toujours limitées.

 

Un énorme effort international

La campagne d’Italie a constitué un énorme effort international. Plus de 26 nations y ont pris part. La campagne a notamment : 

  • contribué puissamment à la victoire générale en Europe, entre autres en enfonçant la ligne Gothique;
  • privé l’Allemagne de son allié italien;
  • permis aux Alliés d’utiliser la Méditerranée pour la suite des opérations;
  • accru le prestige allié en remportant une victoire décisive qui a permis la prise de Rome et préparé l’invasion de la France.

 

Bilan des pertes

Les pertes alliées se sont élevées à quelque 300 000 hommes, incluant les tués, les blessés et les prisonniers de guerre. Les pertes allemandes s’élevèrent à plus de 425 000.

Quelque 92 757 Canadiens ont participé aux opérations. Près de 5900 furent tués, 19 000 blessés et 1000 faits prisonniers de guerre. Le pourcentage des pertes s’éleva à 28 %, ce qui est exceptionnellement élevé.

 

Les aspects moins connus de la campagne

Au fil des mois passés à combattre en Italie, les Canadiens ont développé des relations avec les populations locales. Celles-ci étaient parfois perçus par les militaires comme étant malhonnêtes, peu fiables, voire indignes de respect. Des marchands furent accusés de rouler des militaires en modifiant par exemple sur le taux de change en cours.

Des militaires canadiens furent impliqués dans des vols à main armée et des pillages. Le pire cas de pillage est sans doute survenu à Rimini. Des soldats du Seaforth Highlanders ont emporté dans des camions de l’armée des services de porcelaine, de la coutellerie d’argent, des livres rares, des pianos et des tableaux par douzaines provenant d’une villa dont le propriétaire était soupçonné à tort d’avoir été un fasciste.

La possibilité d’obtenir du vin et de l’alcool du pays par l’achat, le troc ou le vol a favorisé le développement d’un marché noir impliquant entre autres des chauffeurs de l’armée canadienne.

Plus de 10 % des pertes canadiennes en Sicile durent causées par des infections transmises sexuellement. Le territoire italien comptait de nombreux bordels. Naples compta plus de 50 000 prostituées professionnelles ou non. Pour l’ensemble de la campagne, le taux d’infection s’éleva dans les troupes canadiennes à 217/1000. Il s’agit du plus haut taux parmi les pays du Commonwealth. Pour sensibiliser les troupes, l’Armée organisa des conférences et distribua des brochures qui mettaient en garde le militaires contre les contacts avec les Italiennes. Des préservatifs et des kits de prophylaxie furent distribués.

L’infanterie comptait pour 10 % des effectifs alliés, mais a produit 75 % des pertes, incluant les troubles neuropsychiatriques à cause des conditions de combat. De faits, les hommes furent constamment soumis au stress, à l’insécurité, aux menaces physiques, entre autres lors des patrouilles, des bombardements et des attaques des tireurs embusqués.

Du 25 mars au 17 juin 1944, soit durant les batailles de la lignes Gustav et Hitler, près de 30 % des pertes du Carleton and York furent liés à des troubles neuropsychiatriques, sans compter les innombrables cas d’alcoolisme, de suicides, de désertion, d’automutilation et d’accidents qui décimèrent les troupes canadiennes en général.

La situation a amené l’Accélération du développement de la psychiatrie militaire canadienne. À ce sujet, le lecteur curieux pourra lire les chapitres 4 et 5 de Battle Exhaustion. Soldiers and Psychiatrists in the Canadian Army (1939-45) des historiens Terry Copp et Bill McAndrew (Mcgill-Queen’s University Press, 1990) qui n’a malheureusement fait l’objet à ce jour d’aucune traduction en français.

 

Quelques livres pour explorer la campagne

La campagne d’Italie du point de vue canadien a fait l’objet de nombreuses publications. Voici quelques suggestions de lecture pour aller plus loin.

Des ouvrages historiques

Bernier, Serge, Le Patrimoine militaire canadien d’hier à aujourd’hui (1872-2000), Montréal, Art Global, 2000, 251 p.

Copp, Terry et Bill McAndrew, Battle Exhaustion. Soldiers and Psychiatrists in the Canadian Army (1939-45), Montréal, Mcgill-Queen’s University Press, 1990, 249 p.

Keshen, Jeffrey A. Saints, Salauds et Soldats. Le Canada et la Deuxième Guerre mondiale, traduit de l’anglais par Pierre R. Desrosiers, Outremont, Athéna Éditions, « coll. Histoire militaire », 2009, 425 p.

MacFarlane, John, La Croix de Triquet. Une étude de l’héroisme militaire, Montréal, PUM, 2012, 249 p.

McAndrew, Bill et al., Les Canadiens et la campagne d’Italie, Montréal, Art Global, 1996, 162 p.

Morton, Desmond, Histoire militaire du Canada, Outremont, Athéna Éditions, 2009, 375 p. 

Nicholson, G. W. L., L’Histoire officielle de la participation de l’armée canadienne à la Seconde Guerre mondiale. Vol II.  Les Canadiens en Italie 1943-1945, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1960, 851 p.

Stanley, F.G., Nos soldats. L’histoire militaire du Canada de 1604 à nos jours, Montréal, Éditions de l’Homme, 1980, 620 p.

Zuehlke, Mark, The Liri Valley. Canada’s Breakthrough to Rome, Vancouver, Douglas & McIntyre, 2003, 492 p.

—–, The Gothic Line. Canada’s Month of Hell in World War II Italy, Vancouver, Douglas & McIntyre, 2006, 550 p.

 

Les reportages des correspondants de guerre canadiens-français

Les journalistes Marcel Ouimet et Benoit Lafleur ont produit de nombreux reportages à la radio de Radio-Canada durant la campagne d’Italie. On peut découvrir leur parcours dans Aimé-Jules Bizimana, De Marcel Ouimet à René Lévesque. Les correspondants de guerre canadiens-français durant la Deuxième Guerre mondiale, (VLB éditeur, 2007).

Le site de Radio-Canada propose de nombreux documents en ligne. Par exemple, Marcel Ouimet résume la campagne dans un reportage télé diffusé le 10 septembre 1963, soit 20 ans après l’invasion de la Sicile par les Canadiens.

 

Des histoires régimentaires

Comité d’officiers du Royal 22e Régiment, Histoire du Royal 22e Régiment, Québec, Éditions du Pélican, 1964, 414 p.

Tooley, Robert, Invicta. The Carleton and York Regiment in the Second World War, Fredericton, New Ireland Press, 1989, 471 p.

 

Des témoignages de combattants canadiens-français

  • Allard, Jean Victor, Mémoires, Boucherville, Éditions de Mortagne, 1985.

Enrôlé volontaire en 1939, Jean Victor Allard (1913-1996) voit sa carrière militaire prendre son envol pendant la Seconde Guerre mondiale. Il succède au major Paul Garneau en tant que commandant en second du R22eR le 23 août 1943. Le régiment se trouve alors en Sicile. Promu au grade de lieutenant-colonel, il commande le R22eR entre janvier 1944 et janvier 1945, puis la 6e brigade d’infanterie de la deuxième division du corps d’infanterie canadien en Europe de l’Ouest. Il termine la guerre avec le grade de brigadier général, fait rare pour un Canadien français. De 1966 à 1969, il devient le premier Canadien français à occuper la fonction de Chef d’état-major de la défense du Canada. À ce titre, il doit réaliser l’unification de l’armée, de l’aviation et de la marine canadiennes. On lui doit la désignation de Bagotville comme base aérienne francophone et l’établissement du Collège militaire royal de Saint-Jean. Pour ses faits de guerre, le général Allard a reçu l’Ordre du service distingué à trois reprises, ce qui est extrêmement rare, la Croix de guerre et la Légion d’honneur de France. Le nom du mont du Général-Allard (640 m) situé sur la base militaire de Valcartier et celui du manège militaire de Trois-Rivières qui accueille le 12e Régiment blindé rappellent sa mémoire.

 

  • Châtillon, Claude, Carnets de guerre. Ottawa-Casa Berardi 1941-1944, Ottawa, Éditions du Vermillon, 1987.

Claude Châtillon (1917- mort il y a une vingtaine d’années) s’enrôle le 13 janvier 1942. Arrivé en Angleterre en septembre avec le grade de lieutenant, il poursuit son entraînement jusqu’en juin 1943. En juillet, il rejoint le R22eR à Philippeville en Algérie. Il participe notamment à la bataille de la Casa Berardi en décembre 1943 en tant que commandant de peloton de la compagnie D. Il quitte le front en février 1944. Après la guerre, il sera ambassadeur jusqu’en en 1982.

 

  • Côté, Lucien A., Je les ai vus mourir, Montréal, Éditions Macadam, 1995.

Lucien A. Côté (1917 – non mentionné) est mobilisé en octobre 1940 en vertu de la LMRN. Il se rend au CABTC 55 de Rimouski pour recevoir l’instruction militaire de base, pus reprend le travail au moulin paternel. En février 1942, il s’enrôle de nouveau et suit notamment un cours de l’Ambulance Saint-Jean en plus de son instruction de fantassin. Il rejoint le 4e bataillon de renforts de la 1re division d’infanterie canadienne en Italie, puis le R22eR à San Pietro. Versé avec son frère dans le peloton commandé par le lieutenant Châtillon, il participe à la bataille de Casa Berardi en décembre 1943. Au début de 1944, il devient infirmier dans la section médicale du régiment. Il prend part entre autres à la bataille de la vallée de la Liri.

 

  • Juteau, Maurice, Ma drôle de guerre, Farnham, Formulaires Ducharme Inc., 1980.

Maurice Juteau (1921 – non mentionné) s’enrôle au printemps 1942, à 18 ans. Il participe notamment à la bataille de Casa Berardi en tant que sergent de peloton des six mortiers de trois pouces. Il accompagne ensuite le régiment en Hollande et en Allemagne. Il est blessé par une mine lors de la guerre de Corée. Au début des années 1960, il devient instructeur de peloton d’aspirants officiers de langue française et commandant de peloton au cours d’armes portatives à l’École d’infanterie de Borden (Ontario).

 

  • Laboissière, A.-C., Journal d’un aumônier militaire canadien 1939-1945, Montréal, Éditions franciscaines, 1948.

Joseph-Paul Laboissière, dit Alphonse-Claude (1901 – 1962), devient aumônier militaire dans l’Armée canadienne, le 9 mars 1940. Le 28 décembre 1943, il passe en Italie et prend en charge le service religieux pour tous les renforts de la première division. Le 15 mars 1944, des shrapnels provenant d’un obus de 88 mm l’atteignent à la cuisse et au genou droit. Il reste au front. Le 25 avril, il quitte le régiment afin de remplacer l’aumônier principal du 1er Corps canadien au QG en Italie. Il est le seul Canadien français des trois aumôniers supérieurs du front de la Méditerranée. Il est démobilisé le 11 août 1945 avec le grade de major.

 

  • Poulin, J.-L.-G., 696 heures d’enfer avec le Royal 22e régiment. Récit vécu et inspiré d’un journal tenu tant bien que mal au front, Québec, Éditions A. B., 1946.

Jean-Louis-Gaston Poulin (1918 – non mentionné) s’enrôle comme lieutenant du R22eR et part outre-mer en décembre 1939 avec la 1re division de l’Armée canadienne. Promu major à 24 ans, il commande la compagnie D du R22eR lors de l’attaque menée sur les points 194 et 131 de la ligne Gothique en août et septembre 1944. À son retour du front, il s’inscrit au Collège militaire de Kingston. Il quitte l’Armée canadienne en 1967 avec le grade de colonel.

 

Sur les témoignages de combattants canadiens-français ayant combattu en Italie et sur les autres théâtres d’opérations de la Seconde Guerre mondiale

  • Vincent, Sébastien, Ils ont écrit la guerre. La Seconde Guerre mondiale à travers des écrits de combattants canadiens-français, Montréal, VLB éditeur, 2010, 309 p. 
  • —–,  « Les frères d’armes, le Royal 22e Régiment et l’Armée canadienne dans les témoignages publiés par des militaires québécois francophones ayant participé à la campagne d’Italie (1943-45) », Bulletin d’histoire politique, vol. 16 no 2 (hiver 2008), p. 179-196.

  

Le site Le Québec et les guerres mondiales a publié :

Les Canadiens à la conquête de la Sicile et de l’Italie, par Pierre Vennat

La croix Victoria de Paul Triquet, par Pierre Vennat

La Croix de Triquet. Une étude de l’héroisme militaire de John Macfarlane (PUM, 2012), par Sébastien Vincent

 

 

 

Sébastien Vincent