Par Robert Aird Texte inédit

L’article qui suit aborde la caricature traitant de la Seconde Guerre mondiale dans les journaux québécois. Il est inévitable de survoler aussi la période qui précède ce conflit meurtrier, alors que les caricaturistes touchent à divers sujets d’actualité qui ont entraîné le monde dans cette longue guerre.

De plus, les médias ne souffraient pas encore de la censure en temps de guerre. On peut donc observer une plus large expression des idées et des opinions.

D’abord, nous verrons les journaux de combat dont la durée de vie est éphémère. Ils diffusent clairement une idéologie, de gauche ou de droite, et sombrent parfois dans les extrêmes. Nous avons retenu le journal de Jean-Charles Harvey, Le Jour (1937-1946), que l’on peut qualifier de libéral plutôt porté à gauche, ainsi que La Clarté (1935-1939), une publication socialiste qui a été victime de la loi du cadenas, une mesure anticommuniste du gouvernement de Maurice Duplessis.

 La Nation (1935-1939), journal nationaliste, corporatiste, antisémite et catholique, de même que Le Goglu (1929-1933) du nazi Adrien Arcand, offrent un son de cloche favorable aux idées d’extrêmes droites. Le Canada, organe du Parti libéral, à cheval entre le journal d’information et d’opinion, a le mérite de publier les caricatures de Robert LaPalme.

Nous n’avons pu choisir Le Devoir, seul quotidien indépendant, qui ne publiait pas encore de caricatures. Il y a évidemment les journaux d’information et commerciaux. Nous avons retenu le journal La Presse qui publie les caricatures d’Albéric Bourgeois et La Patrie dans lequel œuvre Arthur J. Lemay.

Luttes idéologiques

Au cours des années trente, le Québec, pris dans la tourmente provoquée par la Crise économique, dépasse davantage la dichotomie libéraux/ultramontains qui a cours depuis le 19e siècle. Un large courant anti-libéralisme fait son apparition.

Désormais, libéraux, socialistes, corporatistes et fascistes se querellent à savoir qui a raison pour remettre le pays sur les rails. Tout comme en Europe, on observe un pluralisme politique important, mais le socialisme et le communisme demeurent marginaux.

Le courant qui l’emporte est celui proposant diverses réformes et réaménagements sans abolir le capitalisme. Les caricatures contenues dans Le Jour illustrent l’idéologie libérale, l’antifascisme et la forte opposition au nazisme.

Les caricaturistes sont Henri (Harry Mayerovitch) et Saul Field, des artistes montréalais fréquentant les milieux de la gauche, ainsi que John Collins, un américain d’origine qui devient le caricaturiste attitré de The Gazette, en 1939.

Comme dans le journal libéral En Avant, on attaque Duplessis et ses affiliations avec la droite québécoise, admiratrice de Franco et de Salazar. Comme en témoignent ses caricatures, le journal a choisi son camp : celui des libertés et de la démocratie.

Le journal La Clarté s’attaque aux mêmes cibles que Le Jour, mais il aime bien aussi rabaisser les classes possédantes. D’ailleurs, Henri et Field dessinent pour les deux périodiques, annonçant ainsi l’alliance entre puissances libérales et communistes contre la menace fasciste et nazie.

Dans la caricature suivante, intitulée À l’ombre du fascisme, la loi du cadenas de Duplessis est représentée par une botte que portaient les soldats des puissances de l’Axe.

La Nation de Paul Bouchard réplique par des caricatures sombres et haineuses, fortement anticommunistes et antisémites comme celle de Aux armes citoyens. Le personnage qui détient un livre de Karl Marx est typique de la façon dont on caricaturait les Juifs.

On y voit la France et l’Espagne envahies par les communistes, alors que le Québec demeure à l’abri. On y remarque aussi la tête ensanglantée d’une bonne sœur au bout d’un sabre, rappelant ainsi la menace du communisme athée. Bref, il faut avoir un sacré sens de l’humour noir pour la trouver drôle!

Les journaux d’Adrien Arcand (Le Goglu, Le Chameau, Le Miroir), se lancent dans un antisémitisme à outrance où le Juif est responsable de tous les maux. Ces caricatures signées par des pseudonymes ont la fâcheuse manie d’insérer une légende explicative interminable qui tue l’efficacité comique du jeu visuel propre à la caricature moderne. Elles ne traitent pas de politique internationale et même ses attaques antijuives gardent une connotation locale.

Quant au journal Le Canada, LaPalme ne cache pas son soutien à l’effort de guerre en attaquant les puissances ennemies. À partir de 1944, ses caricatures toutes en rondeur profitent de la défaite imminente de l’Allemagne nazie et d’Hitler.

Lapalme, octobre 1943

Lapalme, mars 1944

Lapalme, juin 1944

Lapalme, septembre 1944

La grande presse

Si on dénote un soutien à la guerre avec LaPalme, ce n’est rien en comparaison d’Arthur Lemay dans La Patrie qui verse sans aucune subtilité dans la propagande avec ses dessins d’un style conformiste. En fait, il publie même un album pour la Commission de l’information de guerre.

Lemay, février 1942

Lemay, mars 1942

Lemay, mai 1943

Dans La Presse, il en va autrement. Le grand caricaturiste, Albéric Bourgeois, effleure la politique internationale, affiche peu ses couleurs et semble adopter une attitude détachée face aux événements avec ses caricatures allégoriques.

Peut-être cela s’explique-t-il par la neutralité affichée par ce journal populaire qui veut plaire à son lectorat en majorité opposé à l’enrôlement obligatoire sans contrarier les autorités fédérales. On peut aussi supposer que Bourgeois cherchait avant tout à être drôle et à éviter la propagande.

Conclusion

Cet article témoigne d’une diversité de point de vue au Québec, à travers la plume des caricaturistes. Mais la censure de guerre fera taire les fascistes et seuls les caricaturistes approuvant la participation canadienne et les idées libérales continueront de sévir, bien que des publications à faible tirage demeurent favorables au pétainisme et s’opposent à la conscription (Le Devoir, L’Action nationale).

À noter cependant que le Bureau de la censure s’est fait plutôt discret. C’est que les journaux de la grande presse sont devenus prospères et les propriétaires veulent éviter de froisser les autorités. De plus, ils étaient favorables au Parti libéral qui détient la majorité à Ottawa, ainsi qu’à Québec entre 1939 et 1944. Quant à ses journalistes, sous-payés et sans sécurité d’emploi, ils demeurent dociles.

Si les caricaturistes de la grande presse traitent de la guerre et les journaux de combat des idéologies, ils tâtent inévitablement de la propagande en produisant de la caricature engagée, à l’exception de Bourgeois. En un mot, le caricaturiste, toujours non syndiqué, ne s’est pas éloigné de la position éditoriale du journal pour lequel il travaille.

Robert Aird