Didier Fessou Article publié dans Le Soleil

Passionné par l’histoire de Québec et par la Seconde Guerre mondiale, l’historien Frédéric Smith a découvert que la première parlementaire française était une résidente de Québec. PHOTO LE SOLEIL, PATRICE LAROCHE
La preuve : pas un mot dans Le Grand Larousse illustré. Même mutisme dans la très savante Encyclopédie Théma et le réputé Dictionnaire d’histoire de France Perrin. Mais, tout de même, cinq lignes et demie dans le grand fourre-tout numérique Wikipédia.
Grâce à un historien québécois à l’emploi de la Commission de la capitale nationale, Frédéric Smith, un livre solidement documenté révèle enfin le rôle de Marthe Simard et s’attarde sur une période controversée de l’histoire québécoise.
Publié par vlb éditeur, cet essai historique de 296 pages s’intitule La France appelle à votre secours.
L’appel de de Gaulle
Marthe Caillaud est née le 6 avril 1901 à Bordj-Menaïel, en Kabylie. Son père, Édouard Caillaud, était un avocat dont la famille vivait en Algérie depuis quatre générations. Sa mère, Emma Paoli, était originaire de Corse.
En juillet 1920, Marthe épouse Socrate Bastenti qui décède peu après, emporté par la grippe espagnole. Une petite Yahné est née de cette brève union.
Marthe et son enfant vont vivre chez ses parents qui, peu après, déménagent à Douai, dans le nord de la France, où Édouard Caillaud est nommé juge d’instruction.
Dix ans plus tard, en vacances dans la station balnéaire de Berck, Marthe Caillaud-Bastenti fait la connaissance d’un jeune médecin québécois, André Simard, en France depuis deux afin de parfaire une spécialisation en chirurgie osseuse.
André est le fils d’Arthur Simard, professeur de chirurgie à l’Université Laval, et d’Ernestine Marchand, la fille de l’ancien premier ministre Félix-Gabriel Marchand. L’une de ses tantes, Joséphine, est mariée au sénateur Raoul Dandurand.
Chez les Simard, on a la politique dans le sang!
Marthe et André se marient le 23 juin 1932 à Paris et s’installent au 59 de la rue d’Auteuil, à Québec, où le Dr Simard a sa résidence et son cabinet.
Au déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, en 1939, le Dr Simard organise des cliniques mobiles de don du sang. Et lorsque les journaux signalent l’appel radiophonique du général de Gaulle, en juin 1940, Marthe et André décident de fonder un comité France-Libre à Québec.
Selon le témoignage du père dominicain Georges-Henri Lévesque dans Souvenances, ce comité fut le premier du genre à être créé.
Au total, il y en aura 80 au Canada et 800 à travers le monde.
Le climat de l’époque
Passionnant à lire, le récit de Frédéric Smith évoque aussi la présence de l’envoyée du général de Gaulle au Canada, Élisabeth de Miribel, et ses relations «compliquées» avec le professeur Auguste Viatte, un Suisse qui enseignait la littérature française à l’Université Laval.
Ce faisant, le chargé de projet de la Commission de la capitale nationale ne peut passer sous silence l’état d’esprit de l’époque. État d’esprit qui, aujourd’hui encore, est l’objet de controverse.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Québécois sont partagés.
Pour la majorité d’entre eux, cette guerre est l’affaire des Britanniques et Pétain est en odeur de sainteté auprès du clergé, du journal Le Devoir et des élites traditionnelles. Une position résumée ainsi par Doris Lussier dans La Droite : «Entre de Gaulle, le fuyard qui s’est lâchement débiné à l’heure du danger, et Pétain qui symbolise le patriotisme le plus pur et le plus raisonné qui se puisse concevoir, notre choix est fait.»
Pour une minorité influente, par contre, de Gaulle suscite l’adhésion parce qu’il faut lutter contre la barbarie nazie. Parmi eux le journal Le Soleil, le cardinal Villeneuve, le maire de Québec Lucien Borne, les libéraux d’Adélard Godbout, des professeurs de l’Université Laval réunis autour de Charles de Koninck, et même un jeune journaliste de Radio-Canada du nom de René Lévesque.
Les positions des uns et des autres deviennent insoutenables au printemps 1942 lorsque le premier ministre Mackenzie King revient sur son engagement de ne pas recourir à la conscription.
À l’automne 1943, de Gaulle nomme Marthe Simard à l’Assemblée consultative provisoire à Alger, où cinq sièges sont réservés aux représentants des comités France-Libre.
À l’âge de 42 ans, Marthe Simard devient la première parlementaire française!
Un nouveau pas est franchi le 21 avril 1944 lorsque de Gaulle signe l’ordonnance accordant le droit de vote et d’éligibilité aux Françaises. À l’automne de la même année, onze autres femmes sont nommées à l’Assemblée consultative provisoire.
Pendant quelques mois, Marthe Simard fait des aller et retour entre Québec et Alger, puis entre Québec et Paris.
Au printemps 1945, refusant la carrière politique que de Gaulle lui offre sur un plateau d’argent, Marthe Simard revient définitivement à Québec où elle passe le reste de sa vie.
Décédée le 28 mars 1993 à l’âge de 92 ans, elle repose au cimetière Notre-Dame-de-Belmont.
Des sujets tabous
Un autre essai revient sur cette page trouble de l’histoire du Québec : L’affaire Jean-Louis Roux de l’historien Yves Lavertu.
Bien documenté et lui aussi digne d’intérêt, ce livre de 300 pages publié par Lavertu éditeur est constitué de deux parties. La première rappelle l’action du journaliste Jean-Charles Harvey et de son journal Le Jour pendant la Deuxième Guerre mondiale. La deuxième est consacrée à l’affaire Jean-Louis Roux.
Après avoir maladroitement combattu le référendum de 1995, le comédien Jean-Louis Roux est nommé lieutenant-gouverneur du Québec l’année suivante. Un article de L’actualité signale alors que lorsqu’il étudiait la médecine à l’Université de Montréal, en 1942, Jean-Louis Roux avait crayonné une croix gammée sur son sarrau.
Cette révélation suscite un tollé chez les péquistes à Québec, les bloquistes à Ottawa, les organisations juives à Montréal et les médias québécois. À tel point que le comédien démissionne.
Après avoir rappelé que le soutien des Dr Denis Lazure et Camille Laurin au criminel de guerre français Jacques de Bernonville, en 1950, n’avait posé aucun problème de conscience à qui que ce soit, Yves Lavertu écrit que Jean-Louis Roux a été victime d’un lynchage ayant pour cause l’impossibilité du Québec à regarder son passé en face : «Il y a des sujets qui, aujourd’hui encore, demeurent tabous.»
Pour information, Septentrion publie un essai de 416 pages, Les chemises bleues, dans lequel l’historien Hugues Théorêt retrace le parcours d’Adrien Arcand. Ce faisant, c’est «une période sombre de l’histoire idéologique du Québec» qu’explore Hugues Théorêt.