Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs d’Europe ont connu les heures les plus sombres de leur histoire. Un courant d’antisémitisme s’était propagé un peu partout sur le continent et avait atteint son paroxysme en Allemagne lorsque le parti nazi porté au pouvoir avait décidé de mettre en application un programme d’extermination, véritable génocide du peuple juif.
Alors que nous, occidentaux, avons peine à croire encore aujourd’hui à un tel degré de haine raciale, il est peut-être utile de se demander si, chez-nous, un tel antisémitisme pouvait être présent. Il ne m’a pas fallu faire une longue quête sur les moteurs de recherche d’internet avec les mots clefs « antisémitisme au Canada » avant d’être redirigé vers des liens impliquant un individu assez connu à l’époque: Adrien Arcand.
En consultant ces liens, je me suis heurté à de vieilles querelles entre francophones et anglophones du Canada: l’antisémitisme québécois aurait été amplifié par les anglophones pour donner une mauvaise image du Québec. En poussant mes recherches et en faisant fi de ces allégations un peu gratuites, je me suis rendu compte que la haine du Juif, sans être un fléau répandu à grande échelle, avait fait sa niche de façon un peu inquiétante de ce côté de l’Atlantique également.
Commençons donc par jeter un oeil sur celui qu’on avait surnommé « le Führer canadien »: Adrien Arcand. Possédant les mêmes qualités que son idole en Allemagne, charismatique et grand orateur, il séduit ses disciples et fait peur à ses détracteurs. Journaliste de métier, après avoir été congédié du journal La Presse pour avoir fondé un syndicat catholique dont il était devenu président, Arcand fait passer ses idées sympathiques au nazisme dans de nombreuses publications de l’époque. Les plus modérés diront qu’il n’attirait qu’une minorité d’extrémistes, mais il faut quand même savoir qu’on l’a jugé assez dangereux pour l’interner entre la fin mai 1940 et juillet 1945 en vertu d’accusations de complot pour renverser le gouvernement.
Impliqué en politique, il avait auparavant, en 1933, fondé le Parti National Social Chrétien (PNSC) qui arborait la Croix gammée à ses débuts. Il était devenu chef du Parti de l’Unité Nationale (PUN) en 1938. Le PUN était en fait une fusion du PNSC avec le Nationalist Party (Ontario) et un groupe d’extrême-droite des Prairies canadiennes. Les dirigeants de ce parti ont prétendu qu’il regroupait 84 000 membres, mais une enquête de la GRC en a plutôt répertorié 7083 dans l’ensemble du Canada, dont 6924 au Québec. Fédéraliste et anglophile convaincu, Arcand fera un retour en force en politique fédérale après sa sortie de prison alors qu’il terminera deux fois deuxième au scrutin en 1949 et en 1953. Pas mal pour un homme qui n’a eu que très peu d’influence dans le paysage politique du Canada!
Fait un peu troublant, Arcand ne s’inspirait pas directement des discours de Mussolini ou Hitler. Il partageait plutôt les idées d’Oswald Mosley, un Anglais,qui avait fondé la British Union of Fascists (BUF) en 1932. Sans vouloir s’abaisser aux cancans de bas étage, il est quand même intéressant de savoir qu’il avait épousé Diana Mitford en 1936. Cette dernière était la soeur de Unity Mitford, une farouche partisane du nazisme qui deviendra plus tard très intime avec Adolf Hitler. Mosley n’était pas le seul politicien anglais à posséder des affinités avec les partis fascistes comme ceux de Mussolini et Hitler (Il a rencontré personnellement les deux hommes), son mouvement comptait près de 50,000 adeptes en 1934, et ce nombre augmenta sensiblement quand le BUF se mit à militer pour la paix avec l’Allemagne peu après que son pays lui eut déclaré la guerre.
Le mouvement tiendra de nombreuses réunions pacifistes pour protester contre le gouvernement avant de subir une sévère répression par des arrestations en masse destinées à mettre fin au chaos social. Vint ensuite la fameuse bataille d’Angleterre. Alors que de nombreux historiens ont cru pendant longtemps que la menace venait de l’extérieur sous la forme d’un projet d’invasion de l’Île par l’Allemagne nazie (Opération Seelöwe), il est pertinent de se demander si le réel danger ne se situait pas plutôt à l’intérieur, au sein même des politiciens au service de Sa Majesté! Il suffit d’imaginer ce qui se serait produit si Winston Churchill avait été renversé et remplacé par l’une de ces cliques prônant une paix de compromis avec le IIIè Reich!
Mais revenons de ce côté-ci de l’Océan. Le principal moyen utilisé pour répandre une propagande antisémite efficace à l’époque était la presse écrite. Des publications comme Le Devoir, l’Action catholique et l’Action nationale n’hésitaient pas à publier des textes antisémites et xénophobes. Cette liste n’était cependant pas représentative de la majorité de la presse québécoise qui optait plutôt pour la démocratie libérale et le régime parlementaire. Il est quand même assez inquiétant de voir avec quelle aisance les journaux pouvaient alors cracher leur venin incitant à la haine raciale en toute impunité.
Les propos émis n’incitaient pas à la violence, mais ils étaient empreints d’un cléricalisme hostile à la culture juive en général. Bien sûr, la recherche de boucs émissaires pour expliquer les problèmes financiers a aussi pesé pour beaucoup dans la balance. Tout comme en Europe, le krach boursier de 1929 a engendré une crise qui a fait monter le taux de chômage en flèche et on commençait à lire des propos désignant le Juif comme un voleur d’emploi et un profiteur indésirable. Il est un peu ironique de constater que certains Québécois, minorité francophone dans un Canada anglais, aient pu développer aussi peu d’empathie pour un peuple dans la même situation qu’eux qui devait en plus endurer de violentes mesures répressives intolérables et inacceptables.
Au Québec, certains groupes sociaux ont laissé leur marque de façon peu glorieuse au niveau du racisme à l’encontre des Juifs. Qu’on pense au regroupement Jeune-Canada qui organisait en 1933 des contre-manifestations pour protester contre l’appui aux Juifs d’Europe; le chanoine-historien Lionel Groulx affichait ouvertement son soutien à ce groupuscule d’extrême-droite, ce qui a probablement inspiré en partie la thèse controversée écrite par l’universitaire Esther Delisle: Le Traître et le Juif. Ou encore à cette pétition de 128 000 noms de la Société Saint-Jean Baptiste remise au gouvernement canadien en 1938 pour s’opposer «à toute immigration et spécialement à l’immigration juive». C’est l’historien Irving Abella, de l’Université York, près de Toronto, ex-président du Congrès juif canadien, qui rapporte ce fait dans None Is Too Many (cosigné par Harold Troper, Lester Publishing), un ouvrage sur la politique canadienne concernant les réfugiés juifs de l’Holocauste. (1)Le comédien Jean-Louis Roux, devenu par la suite Lieutenant-Gouverneur du Canada, avoue avoir participé à des manifestations antisémites dans sa jeunesse.
Il n’est pas surprenant que, par la suite, le reste du Canada accuse le Québec d’avoir des squelettes dans son placard en matière d’antisémitisme. Dans le tumulte de l’affaire Roux, Irving Abella a cru nécessaire d’écrire au Globe and Mail pour mettre le Canada anglais en garde…
«Sans l’ombre d’un doute, les Québécois doivent reconnaître leur passé antisémite et raciste sordide avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale […]. Mais, franchement, le passé du Canada anglais n’est guère mieux. […] Pendant que les amis de Jean-Louis Roux lançaient des pierres dans les vitrines des magasins juifs, il y eut de la violence antisémite bien plus grave dans les rues de Toronto lors des émeutes au stade Christie-Pit, de même qu’à Winnipeg, où les chemises brunes locales attaquaient les Juifs, et dans d’autres villes canadiennes anglaises.»
Irving Abella montre dans son livre comment Mackenzie King, premier ministre du Canada de 1935 à 1948, invoquait l’opinion canadienne-française pour justifier devant les étrangers la fermeture du Canada aux réfugiés juifs. Or, son journal personnel révèle qu’il était tout simplement antisémite lui-même, opposé à l’immigration juive, et qu’il vouait à Hitler ainsi qu’à Mussolini une admiration qu’on ne rencontre chez aucun chef nationaliste québécois: «Hitler et Mussolini, quoique dictateurs, se sont vraiment efforcés de procurer aux masses [divers bienfaits] et ainsi de s’assurer leur appui. […] La manière dictatoriale était peut-être nécessaire afin de retirer ces bienfaits aux privilégiés qui les monopolisaient jusque-là. […] On pourrait finir par voir en lui [Hitler] un des sauveurs du monde.» (2)
MacKenzie King a-t-il pour autant gouverné selon sa propre ligne de pensée ? Malheureusement, il faut répondre à cette question par l’affirmative. Son ministre de l’Immigration, Frederick Blair, se vantait de pouvoir tenir les immigrants juifs loin du Canada. Même après avoir pris connaissance du sort des Juifs en territoire occupé par les Nazis, Blair maintenait sa politique en invoquant qu’il ne voulait pas que le Canada devienne «un dépotoir pour 800 000 réfugiés juifs.»
En 1938, lors de la conférence d’Évian, le Canada explique qu’il ne peut accepter d’immigration juive sous prétexte qu’il lui faut favoriser la venue d’agriculteurs. Il suit alors un courant généralisé du « pas de Juif dans ma cour » puisqu’un seul des 31 pays présents accepta d’aider les Juifs, soit la République dominicaine. Par la suite, cette autre déclaration peu reluisante de William Lyon MacKenzie King: «En 1938, le Canada était peut-être plus menacé par l’admission de réfugiés que par Hitler lui-même.»
L’épopée du paquebot SS St-Louis mettra la touche finale à cette triste démonstration de la politique étrangère canadienne en matière d’immigration juive. Lorsque le premier ministre Mackenzie King a entendu parler des mésaventures du S.S. St. Louis, il accompagnait le roi et la reine de Grande-Bretagne à Washington dans leur tournée américaine. Il a commenté les événements en déclarant qu’il était « catégoriquement opposé à l’admission des passagers du St. Louis ». De son côté, le ministre de l’Immigration Frederick Blair a affirmé que ces réfugiés n’étaient pas admissibles en vertu des lois sur l’immigration et que de toute façon, le Canada en avait déjà trop fait pour les juifs; « […] si ces juifs étaient admis [au Canada], ils seraient probablement suivis d’autres bateaux.
Aucun pays ne peut ouvrir ses portes assez grand pour accueillir les centaines de milliers de Juifs qui veulent quitter l’Europe; il y a des limites à tout. » Entre 1933 et 1939, seulement 4 000 à 5 000 Juifs allemands ont été accueillis au Canada, en comparaison des 200 000 aux États-Unis, et environ 20 000 au Mexique. En septembre 1938, dans une lettre adressée au Premier Ministre, quand les Juifs tentaient désespérément de quitter l’Allemagne nazie et de fuir l’escalade de violence qui s’ensuivit alors il a écrit: « La pression du peuple juif pour entrer au Canada n’a jamais été aussi grande que maintenant, et je suis fier d’être en mesure d’ajouter qu’après 35 ans d’expérience ici, nous n’avons jamais si bien contrôlé la situation« . Frederick Blair, pasteur appartenant à la congrégation baptiste, a eu cette réplique hallucinante à un journaliste qui lui demandait: « Combien de Juifs seriez-vous disposé à accueillir ? », il répondit: «aucun serait trop» (None is too many).
Encore une fois, le Canada n’a pas été le seul pays à refuser d’aider les Juifs, tout comme à la conférence d’Évian. Mais il est hors de question de se servir de cet argument pour prétendre que le Canada n’a fait ni mieux ni pire que les autres et ainsi banaliser une calomnie qui a terni le passé de notre grand pays. Hors de question également d’essayer de noyer le poisson en ramenant cette triste page de l’histoire canadienne à de simples querelles entre francophones et anglophones. Le Québec et le Canada en entier doivent admettre leurs fautes afin que plus jamais ils ne répètent une telle ignominie.
(1) Revue l’actualité, 1er Mars 1997, vol. 22, no 3
(2) Ibid.
Sources:
http://aix1.uottawa.ca/~fgingras/doc/quebec1930-45.html
http://www.uhearst.ca/_pdf/antisemitisme.pdf
http://www.vigile.net/Adrien-Arcand-un-fasciste-bien-de
http://agora.qc.ca/liens/gcaldwell.html
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