Le Québec entre Pétain et de Gaulle d’Éric Amyot

Par Frédéric Smith

Si Dale C. Thomson avait déjà abordé le sujet de la France Libre au Québec dans un chapitre de son De Gaulle et le Québec (Trécarré, 1990), l’historien Éric Amyot est le premier à y avoir consacré un ouvrage entier intitulé Le Québec entre Pétain et de Gaulle : Vichy, la France Libre et les Canadiens français, 1940-1945 (Fides, 1999). Dix ans après sa publication, il demeure une source incontournable pour qui veut comprendre l’évolution de l’opinion publique canadienne-française pendant la Deuxième guerre mondiale, et le rôle de la France Libre dans cette évolution.

Dix années ont passé depuis la publication du livre de l’historien Éric Amyot, Le Québec entre Pétain et de Gaulle : Vichy, la France Libre et les Canadiens français, 1940-1945. Il paraît pertinent de rappeler à la mémoire des lecteurs de ce blogue l’existence de cet important ouvrage, et de constater que les avenues qu’il proposait pour la recherche en histoire politique du Québec pendant la Deuxième guerre ne sont encore que très peu empruntées.

Éric Amyot est un spécialiste de l’histoire politique du Québec et de la France des années 1930 et 1940, détenteur d’une maîtrise en sciences politiques et d’un doctorat en histoire de l’Université McGill. Son livre est construit à partir d’une thèse de doctorat en histoire soutenue à l’Université McGill et intitulée La bataille pour le Québec: Vichy, la France libre et les Canadiens français, 1940-1945.

D’entrée de jeu, l’auteur place la publication de son ouvrage dans le contexte plus large du rappel de « L’affaire Bernonville » provoqué notamment par le livre L’affaire Bernonville : le Québec face à Pétain et à la Collaboration (1948-1951) de l’historien Yves Lavertu. (VLB Éditeur, 1994), et de la controverse soulevée dans les médias à propos du rôle de certaines élites nationalistes dans l’accueil et la protection d’au moins un collaborateur nazi au Québec. On se souvient que la controverse avait atteint un point culminant en 1996 suite à ce qu’il convient d’appeler « L’affaire Jean-Louis Roux ».

Ces événements auront permis de rappeler, voire d’évoquer pour la première fois, les sympathies vichystes d’une part importante de la société canadienne-française, au moins pendant la première moitié de la guerre : on l’aura trop peu dit à l’époque, mais les sympathies vichystes s’effriteront au fur et à mesure que Vichy basculera indéniablement dans la collaboration. Le débat s’attardera trop aux accusations stériles d’antisémitisme et de fascisme, et trop peu à la mise en contexte des réformes du Maréchal Pétain dont le « Travail, Famille, Patrie » se voulait séduisant, à prime abord, aux yeux des éléments conservateurs de la société canadienne-française.

Dans son ouvrage, Éric Amyot souhaite justement étudier les rapports complexes entre le Canada français et les deux France incarnées par Pétain et de Gaulle, et ce, en suivant l’évolution de l’opinion canadienne-française pendant toute la durée de la guerre.

Appuyé par une solide recherche documentaire à travers divers fonds d’archives conservés au Canada et en France, et grâce à plusieurs entretiens auprès d’acteurs de cette période ou de leurs descendants, Amyot brosse un tableau précis du renversement de l’opinion publique canadienne-française, du « Vichy hégémonique » (chapitre 2) à « La victoire du général de Gaulle » (chapitre 8).

Peut-être en guise de contrepoids à la « controverse vichyste » soulevée dans la dernière moitié des années 1990, Éric Amyot s’attarde surtout à la résistance gaulliste incarnée à travers le mouvement France Libre au Québec, et plus particulièrement à Montréal. Il rappelle que, si la fin de la Troisième République et la Révolution nationale du Maréchal Pétain pouvaient paraître séduisantes aux yeux d’un large pan de la société canadienne-française plus conservatrice, les bases d’une organisation gaulliste existaient dans la province de Québec dès l’Appel aux Français du 18 juin 1940.

Puis l’auteur évoque les relations parfois tumultueuses entre les comités indépendants de la France Libre au Canada (des créations locales et spontanées au départ) et les représentants du Général de Gaulle au pays venus insuffler un minimum d’organisation et de cohérence dans la propagande gaulliste. Amyot met aussi en contexte le rôle de la jeune Élisabeth de Miribel, première envoyée du général de Gaulle au Canada, puis des délégués officiels de la France Libre à Ottawa, comme le colonel Pierrené et le commandant Gabriel Bonneau.

Un char allégorique de la France Libre lors du défilé de la Saint-Jean-Baptiste en 1945, soit quelques semaines après la victoire alliée en Europe. On y reconnait les maquettes de l’Arc de Triomphe et de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Source : Fonds Conrad Poirier, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

On regrettera peut-être le point de vue montréalisant de l’auteur lorsqu’il présente la France Libre au Québec : Amyot concentre surtout son regard sur les querelles que se livraient les divers clans de Français qui se disputaient les rênes du mouvement gaulliste dans la métropole. Élisabeth de Miribel, envoyée par de Gaulle au Canada, s’est retrouvée rapidement empêtrée dans ces conflits. Tant et si bien que l’action de la France Libre à Montréal a été somme toute négligeable, minée par ces querelles intestines et isolée en raison de ses velléités centralisatrices. Tandis qu’un comité comme celui de Québec, considéré comme le plus dynamique par les représentants du général de Gaulle, contribuait à élargir le mouvement à l’ensemble du Canada, avec la création de plus de 80 comités France Libre d’un océan à l’autre.

On notera cependant que les dépôts d’archives consultés par l’auteur ne contiennent que relativement peu d’information sur ces comités. Les querelles génèrent plus de papier que les organisations bien huilées. De plus, l’historien suisse Claude Hauser n’avait pas encore publié les carnets du professeur Auguste Viatte, source devenue incontournable pour qui veut comprendre l’action de la France Libre dans l’Est du Québec.

Mais on déplorera surtout le recul que semble avoir pris l’historien face à son sujet. Depuis deux articles publiés dans le Bulletin d’histoire politique au printemps 1998 et à l’hiver 1999 et la publication de son livre dans les mois qui ont suivi, Éric Amyot s’est fait très silencieux. Trop silencieux, même, si l’on considère que la recherche en histoire politique au Québec ne peut se passer d’un historien de cette trempe.

Voir le livre en ligne ici.

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Éric Amyot a coordonné un dossier thématique du Bulletin d’histoire politique portant sur Vichy, La France libre et le Canada français (Vol. 7. no 2 hiver 1999).
Le dossier comprend les articles suivants:
Eric Amyot
Vichy, la France libre et le Canada français: bilan historiographique
Ivan Carel
Le Nouvelliste: un quotidien régional et la tourmente française
Claude Beauregard
La propagande de Vichy et la réponse du gouvernement canadien
Lise Quirion
La presse québécoise d’expression française face au procès du maréchal Pétain, 1945
Frédéric Smith