Lectures d’été. Les guerres mondiales dans la collection de livres de poche « Tempus »

Par Sébastien Vincent
Texte inédit
 
La collection « Tempus » (Perrin) possède un catalogue comptant près de 400 titres à ce jour. Parmi ces derniers, plus d’une cinquantaine traitent de différents aspects des deux guerres mondiales. Présentation de quelques titres à l’heure de faire ses choix de lecture pour la saison estivale. 
 
 
Panoramas des deux guerres mondiales
 
D’entrée de jeu, soulignons deux ouvrages de John Keegan, historien militaire anglo-saxon incontournable et auteur, notamment, d’Anatomie de la bataille (The Face of Battle). Dans La Première Guerre mondiale, Keegan présente l’ensemble du conflit 14-18 du point de vue africain, indien, américain, canadien et japonais. Il traite d’enjeux nationaux et des tensions sur les lignes de front.
 
Une analyse dense, complète et originale qui démontre combien la guerre fut avant tout une expérience profondément humaine : « La camaraderie née dans les complexes tranchées du front de l’Ouest et de l’Est lia de parfaits étrangers dans une étroite fraternité et éleva les amitiés régimentaires classiques au rang de liens du sang. Des hommes que les tranchées rendirent intimes firent preuve d’une abnégation et d’une confiance réciproque bien que plus fortes que toutes les amitiés nouées pendant la paix. Tel est le plus grand des mystères de la Première Guerre mondiale ». La bibliographie commentée présente de nombreux ouvrages en anglais.
 
 
« La Première Guerre mondiale explique la Seconde. En fait, elle l’a provoqué dans la mesure où un événement en entraîne un autre ». Ainsi s’ouvre La Deuxième Guerre mondiale. Suivant l’ordre chronologique, John Keegan livre ici une analyse aussi éclairante que dans son livre consacré à la Grande Guerre. La première partie traite de la guerre à l’Ouest, entre 1940 et 1943. L’historien présente d’intéressants développements portant sur la Blitzkrieg, la bataille d’Angleterre et sur la logistique de la bataille de l’Atlantique.
 
Il aborde ensuite la guerre à l’Est, entre 1941 et 1943, notamment l’opération Barberousse. La troisième partie aborde la guerre du Pacifique, entre 1941 et 1943, soit de Pearl Harbor à la bataille de Midway. Keegan opère ensuite un retour sur la guerre à l’Ouest, cette fois de 1943 à 1945, en s’attardant sur les opérations en Afrique, en Italie, dans les Balkans, en Normandie (opération Overlord et Falaise) ainsi que sur les bombardements stratégiques sur l’Allemagne. Les deux dernières parties se penchent sur la guerre à l’Est et dans le Pacifique, entre 1943 et 1945. L’épilogue constitue une bonne synthèse de l’héritage de la Seconde Guerre mondiale. Une bibliographie aurait été appréciée.
 

Une chronologie commentée de la Seconde Guerre mondiale

 
La Chronologie commentée de la Seconde Guerre mondiale d’André Kaspi, écrite en collaboration de Ralph Schor et de Nicole Pétri, s’avère un incontournable instrument de travail qui peut se lire d’une couverture à l’autre. Initialement parue en 1990, elle était devenue quasi introuvable. Du Japon à l’Europe, des États-Unis à l’Union Soviétique, sans oublier le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique du Sud, cette chronologie s’ouvre le 4 janvier 1939 et se clôt le 12 septembre 1945. Elle raconte en un style accessible les événements qui, sur terre, sur mer et dans les airs, ont marqué le déroulement du conflit. Certes, l’histoire des batailles occupe une place importante, mais les auteurs ont aussi considéré les grandes évolutions économiques, les changements politiques et les décisions diplomatiques. Des encadrés présentent une synthèse de la vie des grands acteurs que furent notamment Staline, Hitler, Pétain, Laval, etc.
 
Raconter la Seconde Guerre mondiale en choisissant des dates contraint nécessairement à faire des choix, sinon à se limiter à des propos généraux. Par exemple, le raid de Dieppe est traité en six lignes. En date du 19 août 1942, on lit : « Des unités anglo-canadiennes lancent une attaque contre Dieppe. Cette opération, destinée à éprouver la force de résistance de la défense allemande à l’Ouest, se solde pour l’attaquant par de lourdes pertes. Hitler ordonne de renforcer le mur de l’Atlantique particulièrement autour des ports, afin de se parer au risque d’invasion. » Par contre, les conférences de Québec (17-24 août 1943 et 11-15 septembre 1944) sont largement décrites. L’index est fort détaillé, mais il aurait été intéressant de proposer une bibliographie qui, compte tenu de l’ampleur du sujet, aurait au moins pu témoigner des percées historiographiques des dernières années.
 

Mais qu’allait faire Rudolf Hess chez les Britanniques?

 
Dans la nuit du 10 mai 1941, Rudolf Hess, le bras droit d’Hitler, se rendit secrètement en Écosse, seul aux commandes de son Messerschmitt. Il sauta en parachute non loin de Glasgow alors que son appareil essuyait les tirs de la DCA. Aussitôt recueilli par les autorités britanniques, il voulut discuter avec le duc d’Hamilton afin que ce dernier agisse à titre de médiateur dans le cadre d’un projet de paix entre l’Allemagne nazie et la Grande-Bretagne. Les Anglais l’emprisonnèrent dès qu’ils s’aperçurent qu’il n’avait rien de consistant à offrir.
 
Hitler prétendit que Hess était devenu fou et qu’il avait agi selon sa seule initiative. Hitler était-il au courant du projet de Hess? Le principal intéressé garda silence pendant les quelque quarante années d’emprisonnement qu’il subit, en fait jusqu’à sa mort en 1987. Martin Allen, historien anglais, propose ici un travail d’archives et d’enquête très fouillé sur un mystérieux épisode de la Seconde Guerre mondiale.
 

Le grand jeu de dupes entre Staline et Hitler

 
Gabriel Gorodetsky est professeur d’histoire à l’université de Tel Aviv. À partir d’archives soviétiques inédites, notamment les fichiers du ministère russe des Affaires étrangères, de l’état-major, des forces de sécurité, et sur la totalité des archives des services secrets militaires dont Staline disposait à cette époque, l’historien se penche dans Le grand jeu de dupes. Staline et l’invasion allemande sur le mystère de l’invasion de la Russie par Hitler en 1941 (opération Barberousse) et sur l’attitude énigmatique de Staline à la veille de l’attaque.
 
Une certaine historiographie russe a longtemps affirmé qu’entre 1939 et 1941, Staline aurait préparé une guerre révolutionnaire contre l’Allemagne nazie. Gorodetsky conteste à la fois cette vision officielle russe et la vision occidentale qui soutient que Staline s’est cruellement trompé face à Hitler. D’après les archives consultées par Gorodetsky, Staline aurait en réalité préparé une conférence de paix où auraient été révisés un certain nombre d’accords qui avaient été imposés son pays. Croyant pouvoir imposer un nouvel ordre européen, il sous-estima le danger allemand. Cette erreur de diagnostic, tout comme sa méfiance continuelle face à la Grande-Bretagne, l’amena à nier l’évidence que lui montraient ses services secrets et les services secrets britanniques. La détermination de Staline à apaiser l’Allemagne entraîna une série de gaffes militaires à l’origine, selon Gabriel Gorodetsky, de la tempête de feu qui s’abattit sur la Russie, dès le 22 juin 1941.
 

Des Allemands « ordinaires »

 
Dans Ils ont vécu sous le nazisme, Laurence Rees, historien et directeur des programmes historiques de la BBC, est parti à la rencontre d’Allemands « ordinaires » ayant connu le nazisme : « Ce que j’ai tenté de faire ici, c’est de pénétrer aussi profondément que possible la nature essentielle du nazisme. Il ne s’agit donc pas de raconter l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ou de faire le récit de toutes les décisions militaires importantes du conflit, mais de comprendre les raisons pour lesquelles les Allemands et leur alliés ont fait ce qu’ils ont fait ».
 
Pour ce livre, comme pour les séries télévisées qu’il réalisa dont The Nazis. A Warning from History (1997), Rees se fonde sur des centaines d’entretiens inédits « dont beaucoup avec d’anciens membres du parti nazi […], des gens qui adulèrent Hitler, travaillèrent pour Himmler, combattirent sur le front de l’Est et commirent des atrocités alors qu’ils appartenaient à la SS ». La plupart de ces gens sont aujourd’hui décédés.
 
Pour l’auteur, « leur soutien au IIIe Reich avait une dimension qui n’avait rien de rationnel. Il était en fait émotionnel et fondé sur la foi. La dimension quasi religieuse du nazisme est évidente ». Hitler, être charismatique, toucha à quelque chose de profond dans la psyché humaine en proposant une forme d’autorité empreinte de visions et de rêves. Il fut un être « extraordinaire qui exploita avec succès les émotions du peuple allemand » qui était, dans sa grande majorité, disposé à être influencé, à entendre qu’ils étaient supérieurs aux autres simplement en vertu de leur naissance. Considérant qu’une étude du nazisme abordée à partir de trajectoires individuelles offre une certaine compréhension de la nature humaine, la lecture de ce livre s’avère captivante, dérangeante, voire troublante par moments.
 

Les généraux allemands parlent

Initialement paru en 1948 sous le titre The Other Side of the Hill, traduit l’année suivante en français, ce livre est « considéré comme un classique outre-Manche et outre-Atlantique », écrit le préfacier Antoine Bourguilleau. On trouve ici la traduction de l’édition définitive. Basil Henry Liddell Hart (1895-1970) fut un grand maître anglais de l’histoire militaire.
 
Les généraux allemands parlent narre la Seconde Guerre mondiale à partir des récits des généraux allemands que Liddell Hart a lui-même consigné dès 1945. Il n’a pu interroger ni Keitel, ni Jodl, ni Dönitz, ni Göring, car tous se trouvaient en attente de leur procès à Nuremberg. « Lidell Hart rencontra de nombreux généraux et put s’entretenir avec eux de la manière dont ils avaient perçu le conflit, de leurs choix stratégiques, de leurs relations avec Hitler et de leur perception de la stratégie des Alliés ». Comme le fait remarquer le préfacier, l’ouvrage comporte des limites : il n’est aucunement fait mention des crimes de guerre perpétrés par l’armée allemande, ni de la politique raciale du Troisième Reich.
 
Par ailleurs, « Lidell Hart fait également l’impasse sur les questions navales et aériennes qui ne sont mentionnées que dans le cadre de leur appui aux opérations terrestres. On s’en doute également, au vu des témoins rencontrés, la guerre dans le Pacifique n’est pas davantage évoquée ». Ces remarques faites, ce livre s’avère singulier en se présentant « sous la forme d’un fondu-enchaîné de témoignages d’officiers et du récit chronologique de l’auteur […]. Les confessions de Rundstedt, de Student, de Blumentritt, de Manteuffel, mais aussi […] de Kesselring ou de Guderian, illustrent le récit général des opérations ». On en apprend également sur des opérations planifiées, mais non exécutées : invasion de l’Angleterre, de Malte, de Gibraltar ou de l’Espagne.
 
On lit aussi sur les dissensions qui ont sévi au sein du haut commandement quant aux opérations à mener à la suite de l’invasion de l’Union soviétique. Au final, cette somme de témoignages de militaires de haut rang recueillis immédiatement après la guerre offre un riche portrait d’ensemble de l’état-major allemand, de l’appareil d’État nazi et de ses dysfonctionnements. Sans oublier le portrait d’Hitler qui s’en dégage : « Le dictateur apparaît comme un homme de plus en plus coupé des réalités du terrain et de moins en moins désireux de se les faire rappeler, entouré d’une cohorte d’officiers ne lui disant plus que ce qu’il avait envie d’entendre, persuadé d’être entouré de traîtres et d’incapables […] ». Un ouvrage clair et précis qui s’adresse à un large public. Soixante ans après sa parution, il demeure sans contredit un document exceptionnel.
 

Deux biographies écrites par un historien québécois

Benoit Lemay œuvre à l’université de Montréal. Il est spécialiste d’histoire militaire et de l’Allemagne et auteur de deux biographies de militaire de haut rang de l’appareil nazi : Erich von Manstein et Erwin Rommel. Le feld-maréchal allemand Manstein (1887-1973) fut le maître tacticien d’Hitler. Il fut l’homme de la guerre éclair et du plan opérationnel de la campagne de France de mai-juin 1940 et de plusieurs coups stratégiques de génie en Pologne et en Union Soviétique. Était-il le plus grand génie opérationnel, voire le meilleur stratège de la Seconde Guerre mondiale?

Les historiens militaires sont presque unanimes à le considérer comme ayant été « le plus grand talent stratégique et le plus habile tacticien de la guerre de mouvements chez les généraux allemands de la Seconde Guerre mondiale », soutient Benoit Lemay. Il est pourtant peu connu en Occident, principalement à cause d’un certain « américano-centrisme qui amenait à s’intéresser surtout au théâtre des opérations de l’Europe de l’Ouest et de l’Afrique du Nord. Or, comme la plupart des nombreux faits d’armes de Manstein se sont déroulés sur les champs de bataille de la Russie bolchévique, les historiens anglo-saxons et français ne lui ont accordé que peu d’intérêt », soutient Lemay. Fondée sur des archives inexplorées, cette biographie critique, la première en français, montre le rôle important joué par le manœuvrier d’Hitler. « Grand militaire, mais homme au sens politique peu aiguisé, Manstein était très représentatif de la caste militaire germano-prussienne de son époque.

À travers lui se profile ainsi le destin d’autres officiers de haut rang ayant combattu lors de la Seconde Guerre mondiale, en particulier sur le front de l’Est. De là l’importance d’une biographie sur ce personnage qui a servi son Führer jusqu’à la fin. En fait, l’étude du comportement indulgent de Manstein envers les exactions nazies, pendant et après la guerre, nous aide davantage à comprendre pourquoi l’armée allemande s’est faite volontairement l’instrument de la politique d’expansion hitlérienne. Une telle biographie n’est pas seulement importante pour l’histoire de la guerre et pour la connaissance des opérations d’un stratège exceptionnellement talentueux. Elle permet aussi de pénétrer dans le monde de la pensée, des conceptions et de la psychologie d’un officier de haut rang qui a joué un rôle de premier plan dans les préparatifs et la conduite de guerres d’agression, ainsi que dans les actions contraires au droit de la guerre commises par la Wehrmacht pour le compte du régime national-socialiste ».

 
Après avoir travaillé sur Manstein, Benoit Lemay s’est intéressé à Erwin Rommel (1891-1944), « le plus connu des généraux allemands de la Seconde Guerre mondiale ». Commandant de la 7e dividion blindée lors de l’invasion de la France, il fut ensuite nommé commandant des forces militaires allemandes en Afrique du Nord. À la tête de l’Afrika Korp, « le Renard du désert » imagina des stratégies de défense que certains généraux allemands réutiliseront tout au long du conflit. Le 14 octobre 1944, il mourut après avoir avalé du poison.
 
Quatre jours plus tard, le régime organisa de grandioses funérailles en son honneur, lui qui était apprécié du peuple allemand. Contrairement à la légende qui a fait de lui le soldat allemand exemplaire qui imposa le respect pour avoir su maîtriser l’art de la guerre tout en maintenant une réserve certaine avec le régime nazi, le Rommel que présente Lemay à partir d’archives et de correspondances privées aurait été un partisan convaincu d’Hitler. Son auréole de gloire serait en partie redevable à la propagande nazie qui en a fait un « dieu de la guerre » issu du peuple. Intéressante et accessible, l’ouvrage s’avère passionnant lorsqu’il s’attarde sur « le mythe Rommel ».  
 
Bonne lecture et surtout, bonnes vacances !

 

Sébastien Vincent