Par Robert Aird
Texte inédit
 
Ce texte peut être lu comme une suite de l’article Les Fridolinades de Gratien Gélinas.
 
Le retour des grands mégalomanes
 
Fridolinons 1940 amorce la guerre par le sketch La naissance d’Hitler. La famille accueille le nouveau né en espérant qu’il déteste les Juifs autant qu’eux. Mais dès que la mère, Klara, se retrouve seule, elle ouvre la porte de l’horloge grand-père pour recevoir un rabbin qui prend le bébé dans ses bras et s’écrie : « Mon fils! » Ce gag vise évidemment à se moquer de l’antisémitisme virulent du dictateur et annonce déjà la rumeur qu’il avait du sang juif!
 
Fridolinons 1940 aborde davantage la guerre que la revue précédente. Il le fait par une série de tableaux intitulée « La guerre devant l’opinion publique » qui se présente comme un excellent témoignage populaire. Comment les gens vivaient cette guerre d’outre-mer au quotidien? Comment percevaient-ils l’enrôlement? L’effort de guerre? Les justifications pour y participer? La propagande et l’information sur le cours de la guerre?
 
Le premier tableau implique Napoléon et César qui discutent de la guerre du haut de leur nuage. La défaite des armées d’Hitler est déjà annoncée, alors qu’elles avaient pourtant encore l’avantage : « Toujours la guerre! Hitler est en train de faire les mêmes gaffes que moi » commente l’ancien empereur français. « Il veut tout avoir! » dit César en regardant l’action à l’aide d’une lorgnette. « Il finira comme moi » anticipe Napoléon. On fait cette prédiction, alors que l’invasion de l’URSS ne débute que le 22 juin 1941 et que les deux puissances sont liées au pacte de non-agression! Et sans compter que les Etats-Unis ne sont pas encore entrées directement dans le conflit. En quelque sorte, ce gag reflète un certain optimisme, alors que les nouvelles du front n’étaient pas très encourageantes.
 
Il reste que les Fridolinades de Gratien Gélinas font plusieurs remarques évoquant l’absurdité de la guerre :
 
CÉSAR
En somme, plus ça change plus c’est la même chose
 
NAPOLÉON
Eh!oui. Encore une autre guerre…pour finir la guerre!
 
CÉSAR
Il ne reste pas grand-chose de notre œuvre, hein?
 
NAPOLÉON
On se croyait importants, de notre temps.
 
CÉSAR
À quoi a servi ma conquête des Gaules?
 
NAPOLÉON
C’est comme moi : dire qu’il y a à peine un siècle, j’ai fait tuer un million d’hommes pour faire de la France la maîtresse de l’univers!
 
CÉSAR
Prends l’Empire Romain, dont j’avais fait le nombril du monde…
 
NAPOLÉON
Il s’est fait passer un savon…
 
CÉSAR
Et il a refoulé au lavage!
 
NAPOLÉON
César, je commence à penser que j’ai été le plus grand imbécile de mon siècle.
 
CÉSAR
Moi, je ne peux pas dire, je n’ai pas connu les autres.
 
NAPOLÉON
J’ai lutté toute ma vie contre l’Angleterre, l’ennemi séculaire de la France. Je suis mort prisonnier. Et regarde-moi ça.
 
CÉSAR
Les Anglais sont maintenant bras dessus bras dessous avec les Français sur la ligne maginot.
 
NAPOLÉON
C’est à n’y rien comprendre. Les Anglais! Les Anglais que j’ai tant détestés! J’essaie de me faire une raison, mais c’est inutile! Je passe mon temps, dans le Ciel, à m’engueuler avec tous les Anglais que je rencontre.
 
Les auteurs de ce tableau démontre l’absurdité des conflits guerriers en les situant dans la longue durée de l’histoire. En effet, on semble demander : pourquoi tant de sang versé si finalement les ennemis d’aujourd’hui seront les alliés de demain ou si ce qui est fait par la guerre sera un jour défait par les conjonctures à venir? L’Allemagne n’est-elle pas devenue un grand ami des puissances de l’Alliance qui l’a combattait jadis? Évidemment, l’histoire se veut beaucoup plus complexe que ce tableau le suggère et nous savons bien que les guerres ont souvent eu des conséquences sans équivoque. Cette scène comique dénonce tout de même la mégalomanie des dirigeants avec une bonne dose de pacifisme qui fait sourire encore aujourd’hui.
 
Robert Aird