Par Pierre Vennat
Journaliste-historien

Robert Boulanger, jeune soldat des Fusiliers Mont-Royal, mort, six jours après son 18e anniversaire de naissance sur la plage de Dieppe, le 19 août 1942, est devenu, aux yeux des autorités de cette ville normande, le symbole de tous ceux qui, comme lui, ont versé leur vie ce jour-là pour la libération de la France.

Robert Boulanger, symbole des jeunes Fusiliers morts à Dieppe le 19 août 1942.

C’est dans cet esprit que les autorités de Dieppe, le maire Sébastien Jumel et la sous-préfète du département, Mme Martine Laquièze, en présence de l’infirmière héroïne de cette tragique journée, Sœur Agnès Valois, alors âgée de 99 ans, ont, à l’instigation de l’Association Jubilée, présidé par M. Gérard Martine, inauguré il y a quelques mois la « Salle Robert Boulanger » du Mémorial de Dieppe.

Une plaque au nom de Robert Boulanger recouverte du drapeau canadien a été dévoilée à cette occasion, pendant que le drapeau des Fusiliers Mont-Royal flotte en permanence à l’intérieur de l’immeuble situé dans l’ancien théâtre municipal.

Lors de cette cérémonie, on en a profité pour faire lecture de la dernière lettre que Robert Boulanger a écrite à ses parents, quelques heures avant de s’embarquer pour Dieppe pour ne jamais revenir :

« Chers papa et maman,

« Il y a quelques minutes, nous avons été rassemblés pour apprendre que finalement, nous nous embarquions pour aller nous battre contre l’ennemi dans les 24 heures qui suivent. Même si j’ai crié « hourra! », comme les autres du peloton, je ne me sens pas très brave, mais soyez assurés que je ne serai jamais une cause de déshonneur pour le nom de la famille.

« Nous nous sommes entraînés avec une extrême ardeur pour ce jour. J’ai grande confiance que nous serons victorieux de notre premier engagement, afin que vous soyez fiers que j’aie été l’un des participants. Depuis que nous sommes arrivés en Angleterre, nous entendons parler des autres camarades de toutes les parties de l’Empire, ainsi que des Anglais, qui combattent sur tant de fronts. Maintenant, nous, les Canadiens, c’est notre tour de les joindre dans la bataille.

« Dans l’endroit où nous sommes présentement, notre colonel, Dollard Ménard, vient de confirmer la nouvelle, et dans le secret, nous a annoncé l’endroit où nous irons attaquer l’ennemi. Je suis peiné, mais je ne puis dévoiler ni le nom, ni sa location. Nous savons exactement dans quelle situation nous nous engageons, et c’est avec confiance que nous attaquerons.

« Notre aumônier, Padre Sabourin, rassemble tous ceux qui veulent recevoir l’absolution générale, ainsi que la Sainte Communion. Presque tous répondent à l’appel. Je veux être en paix avec Dieu au cas où quelque chose m’arrive. Mon bon ami, Jacques Nadeau, en fait autant.

« Faisant suite aux instructions détaillées que nous ont données nos officiers et sous-officiers, nous sommes invités à participer à un somptueux repas. Nous sommes servis par les membres féminins auxiliaires de la Marine royale. Les tables sont recouvertes de nappes blanches et chacun a son couvert complet. Il y a bien longtemps que nous avions été traités de la sorte par le service militaire….

(…) « Je continue ma lettre à bord de notre péniche d’assaut qui nous amènera à notre cible. Nous sommes chanceux, car la mer est très calme, la température et le temps sont au beau fixe. L’on nous dit que l’engagement avec l’ennemi prendra place vers 5 heures  30.

« Dans l’entre-temps, j’en profite pour vérifier encore une fois mon fusil et mon équipement, pour une troisième fois, tout en écoutant mes camarades discuter de différentes choses. Certains racontent des blagues, mais à les entendre, on devine la tension qui existe, d’ailleurs, je la ressens moi-même.

« Le Lieutenant Masson nous fait ses dernières recommandations, juste lorsque nous larguons les amarres. Le Sergent Lapointe pose quantité de questions, car c’est la première fois qu’il dirige un peloton d’hommes. Jacques est occupé à ajuster son vélo et semble ennuyé par quelque chose, car il marmonne comme à l’habitude dans pareil cas.

« La lune nous éclaire suffisamment pour que puisse continuer. Il y a deux heures et demie que nous naviguons, et je dois faire vite avant la nuit noire. J’en profite pour vous demander pardon pour la peine et les fautes que j’ai pu vous causer, surtout lors de mon enrôlement.

« Roger m’a dit combien de peine je vous ai fait; j’espère que si je reviens vivant de cette aventure, et si je retourne à la maison à la fin de la guerre, je ferai tout ce que je pourrai pour sécher tes larmes, maman; je ferai tout en mon pouvoir afin de vous faire oublier toutes les angoisses dont je suis la cause.

« J’espère que vous aurez reçu ma lettre de la semaine passée. Je sais que j’ai célébré mon dix-huitième anniversaire de naissance le 13, et que je n’ai pas raison d’aller combattre. Mais lorsque vous apprendrez avec quelle bravoure je me suis battu, vous me pardonnerez toutes les peines que je vous ai causées.

« L’aube pointe déjà à l’horizon, mais durant la nuit j’ai récité toutes les prières que vous m’avez enseignées, et avec plus de ferveur que d’habitude. Il y a quelques minutes, j’ai cru que nous étions déjà entrés en action avec les Allemands. Là-bas, sur notre gauche, le grondement de canons avec le ciel qui était éclairé nous l’a fait croire. Notre groupe d’embarcations se déplace au ralenti et le Lieutenant Masson nous dit que la première vague d’assaut se dirige vers son objectif.

« Il fait beaucoup plus clair maintenant, et je peux voir ce que j’écris, j’espère que vous pourrez me lire. L’on nous avertit que nous sommes très près de la côte française. Je le crois, car nous entendons la canonnade ainsi que le bruit des explosions, même le sifflement des obus passant au-dessus de nos têtes.

« Je réalise enfin que nous ne sommes plus à l’exercice. Une péniche d’assaut directement à côté de la nôtre vient d’être atteinte, et elle s’est désintégrée avec tous ceux qui étaient à son bord. Nous n’avons pas eu le temps de voir grand-chose, car en l’espace d’une ou deux minutes, il n’y avait plus rien.

« Oh mon Dieu! Protégez-nous d’un tel sort. Tant de camarades et d’amis qui étaient là voilà deux minutes sont disparus pour toujours. C’est horrible. D’autres embarcations de notre groupe et d’autres groupes ont été touchés et ont subi le même sort.

« Si je devais être parmi les victimes, Jacques vous apprendra ce qui m’est arrivé, car nous avons fait la promesse de le faire, pour l’un ou l’autre, au cas où l’un de nous ne reviendrait pas.

« Je vous aime bien, et dites à mes frères sœurs que je les aime bien aussi du cœur ».

Robert Boulanger

Pierre Vennat