Les historiens Yves Roby, Fernande Roy et Robert Arcand, notamment, ont montré qu’il existait au Québec, dans la première moitié du 20e siècle, un discours libéral plus fort et moins marginal qu’on l’avait d’abord cru.
Présent chez plusieurs journalistes et embrassé par une certaine presse, ce discours libéral sera le terreau fertile de la propagande gaulliste au Québec pendant la Deuxième guerre mondiale.
Willie Chevalier est l’un des visages de cette propagande.
Né à Montréal le 11 août 1911, il débute sa carrière de journaliste à l’âge de 20 ans, sans n’avoir reçu « aucun diplôme d’aucune institution ». Libéral et antinationaliste, il occupe divers postes dans le domaine de la presse écrite. Il sera président de la tribune parlementaire des journalistes à Québec, directeur de l’information et rédacteur en chef pour différents journaux dont Le Soleil, Le Droit, Le Petit Journal et Le Canada.
En juillet 1940, Chevalier est attaché au Service de la censure de guerre à Ottawa, à titre de censeur adjoint de la presse canadienne. Les journaux canadiens-français qui critiquent la participation canadienne à la guerre sont principalement ciblés. Le journal Le Devoir est particulièrement surveillé.
Willie Chevalier en fait un cas personnel. Le 24 février 1941, il présente un mémorandum de 26 pages recensant toutes les infractions du Devoir, « ce journal allemand publié en français », depuis le 16 septembre 1940. Fin juin, un autre rapport est produit, celui-là de 15 pages. Mais Ottawa est consciente du caractère explosif de toute intervention qui irait au-delà des avertissements. Même au plus fort de la crise conscriptionniste, Ottawa n’interviendra auprès du Devoir que pour faire connaître son mécontentement, sans plus.
On attaque le problème sous un autre angle. Puisqu’il est difficile pour Ottawa de mettre le couvercle sur la propagande anti-participationniste et vichyste, on fera en sorte de présenter le revers de la médaille. Si la position officielle du gouvernement canadien en est une de neutralité vis-à-vis du gouvernement de Vichy (du moins jusqu’en novembre 1942, lorsque le Canada rompt définitivement ses liens avec celui-ci), plusieurs efforts sont faits de façon officieuse afin d’appuyer la France Libre. Le Service de l’Information à Ottawa, dirigée par Claude Mélançon, collabore de façon régulière avec les représentants du général de Gaulle au pays et le service de l’information de la France Libre.
Puis Willie Chevalier profite de ses contacts au journal Le Soleil pour signer quelques éditoriaux, sous le pseudonyme de Vauquelin. Évitant au départ de polariser le débat entre de Gaulle et Pétain, Chevalier explique l’action du général qui, « comme Pétain », ne veut que le bien de la France. Ses éditoriaux se radicalisent toutefois lorsque Vichy s’enfonce dans la collaboration avec les nazis.
Dans un article du 15 janvier 1941 intitulé Charles de Gaulle et nous, Chevalier fait la promotion d’une participation active dans la cause de la France Libre : « La logique et le bon sens nous font donc un devoir impératif d’aider les partisans du général de Gaulle chaque fois qu’ils feront appel à nous. Et rien ne nous empêche d’aller au-devant de leurs désirs… ». L’auteur attire l’attention des Français Libres de Québec qui, après quelques recherches, apprennent la véritable identité de Vauquelin, prenant toutefois soin de ne pas la révéler.
Juillet 1941, Willie Chevalier est attaché au secrétariat du premier ministre de la province de Québec, le libéral Adélard Godbout, et chargé de relations avec la presse. On lui confie également la rédaction de plusieurs discours pour le premier ministre. Chevalier s’implique presque aussitôt dans le comité France Libre de Québec, dirigé par Marthe Simard.
En août, il siège déjà sur son comité exécutif, et assume la fonction de directeur de la propagande en remplacement de René Garneau, conservateur-adjoint à la Bibliothèque législative, pris par son service militaire. Ce rôle l’amène à prononcer plusieurs discours à Radio-Canada et au poste WRUL de Boston, qui les relaie jusqu’en France.
Fin avril 1942, Willie Chevalier quitte son poste de publiciste-adjoint à Québec et retourne le 1er mai au journal Le Canada comme chef des nouvelles. Il y demeure jusqu’en décembre puis accepte un poste de correspondant de guerre pour le service français de la BBC, poste qu’il occupe de 1943 à 1944. De retour au Québec, on le retrouve, en 1944, au quotidien Le Soleil en tant qu’éditorialiste. On peut s’étonner de ces nombreux et rapides changements d’affectation pendant la guerre. Caractère irascible? Ceux qui l’ont connu se souviennent pourtant d’un homme très réservé, voire effacé. Refus des compromis idéologiques ou, au contraire, progression vers une pensée de plus en plus incompatible avec celle de ses employeurs?
Le compte rendu du tome 39 de l’Histoire de la province de Québec de Robert Rumilly qu’il publie dans la Revue d’histoire de l’Amérique française en 1969 fournit peut-être un indice. Cet article est pour lui l’occasion de revisiter cette période, et de prendre ses distances de l’idéologie libérale.
Pourtant pris à partie par Rumilly (demeuré sympathique à Pétain et Vichy même après la guerre) dans ce tome consacré à la crise de la conscription, Chevalier loue la méthode de l’historien, qu’il juge « irréprochable », et se range derrière plusieurs de ses interprétations tout en lui demandant d’admettre que « l’on pouvait très bien, dès juin 1940, être gaulliste pour des raisons canadiennes ».
Il profite de son compte rendu pour reprocher à Mackenzie King d’avoir plusieurs fois violé la constitution canadienne et d’avoir trompé la population, dont les jeunes journalistes « remplis d’idéal ». Il condamne le plébiscite, cette « farce plate et sinistre ».
Il pose Adélard Godbout en prisonnier des « artistes lyriques de la politique fédérale », affirmant qu’en d’autres temps « il eut été un bon premier ministre ». Il prend même la défense de Pétain, malgré ce que l’on connaît de Montoire et des crimes du gouvernement de Vichy : « D’emblée on lui [Rumilly] concède que le maréchal Pétain ne fut pas un traître (Laval non plus, d’ailleurs) ».
Voilà une opinion qui étonne et témoigne d’un revirement idéologique que de plus amples recherches permettront peut-être de mieux cerner.
Willie Chevalier est décédé le 16 avril 1991.
AJOUT (14 juillet 2010) : Remerciements à M. Robert Dubé pour quelques précisions apportées.
Bibliographie
Archives du ministère des Affaires Étrangères et Européennes de France, série Guerre 39-45, sous-série Londres, vol. 306. Rapport du 7 août 1941, André Verrier (comité de Québec) à Londres.
Archives de l’Université de Montréal, Fonds Willie Chevalier (P342), – [192-] – 2007. – 2,99 m de documents textuels et autres documents.
AMYOT, Éric. Le Québec entre Pétain et de Gaulle : Vichy, la France libre et les Canadiens français, 1940-1945. Montréal : Éditions Fides, 1999, 365 pages.
ARCAND, Robert. « Pétain et de Gaulle dans la presse québécoise entre juin 1940 et novembre 1942 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 44, no. 3, Hiver 1991, p. 363-395.
BEAUREGARD, Claude. Guerre et censure au Canada 1939-1945. Sillery : Septentrion, 1998, 198 pages.
CHEVALIER, Willie. « RUMILLY, Robert, Histoire de la province de Québec — tome XXXIX — La guerre de 1939-194.5 — Le plébiscite. Les Editions Fides, Montréal, 1969. $4.00. », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 23, n° 3, 1969, p. 486-488.
VIATTE, Auguste. D’un monde à l’autre – Journal d’un intellectuel jurassien au Québec (1939-1949). Volume 1 : mars 1939-novembre 1942. Édité et présenté par Claude Hauser. Sainte-Foy : Presses de l’Université Laval, 2001, 584 pages.