Qui aurait cru que le fondateur de CKAC en 1932 avait été auparavant pilote de guerre, technicien en télégraphie sans fil, éditorialiste au Montreal Herald et avait traversé l’Atlantique à bord du dirigeable R-100?

Jacques-Narcisse Cartier a connu une carrière des plus remplies dans un tas de domaines qui, à première vue, ne semblaient pas ou peu reliés. Né en 1890 et décédé en 1955, il fut, durant sa relativement courte vie, journaliste, expert technicien en télégraphie sans fil, aviateur et gestionnaire.

jncartier_p118p12À 18 ans, il fit son apprentissage de télégraphiste sans fil auprès de Guglielmo Marconi lui-même. Puis, en 1913,  il dirigea la station de New York de la liaison Berlin-New York par télégraphie sans fil de la compagnie allemande Telefunken.

Il se tourna alors vers le journalisme, fit partie de l’équipe éditoriale du Montreal Herald et de plusieurs autres journaux américains ainsi que du Central News of London en 1913 et 1914, avant de se porter volontaire dans le Corps expéditionnaire canadien au début de la Première Guerre mondiale.

De 1914 à 1916, il fut rattaché au Corps des signaleurs, puis au Service de contre-espionnage de l’état-major canadien (1916-1917). Puis, on le versa à l’aviation britannique comme pilote chargé d’espionnage radio de 1917 à sa démobilisation en 1919.

Revenu à la vie civile, ses services furent retenus par le président de La Presse, Pamphile-Réal Dutremblay pour établir le poste de radio CKAC, qui vit le jour en 1922. En 1930, il traversa l’Atlantique à bord du dirigeable R-100 à partir duquel il diffusa quotidiennement des reportages.

Vice-président de la Commission canadienne de la radiodiffusion en 1934-1935, il présida et dirigea le journal l’Illustration qu’il transforma en 1941 en journal et en fit le Montréal-Matin dont il occupa le poste de président et directeur général jusqu’en 1947, alors qu’il vendit ses actions au parti de l’Union nationale, dirigé par son cousin, le premier ministre Maurice Duplessis. En 1947, il prit le contrôle du journal Le Canada et décéda en 1955.

Le 17 mai 1916, le quotidien montréalais La Presse se disait heureux de publier, à la une du journal de ce jour-là, la photo de J. Narcisse Cartier, présenté comme « le premier Montréalais qui ait fait de l’aviation au-dessus des champs de bataille de l’Europe et qui ait abattu un biplan allemand, le jeudi 27 avril dernier ». On ajoutait que Cartier serait prochainement promu pour actions signalées au feu.

Dans une lettre adressée à son père, le jeune Cartier racontait que l’avant-midi du 27 avril 1916, il était à faire la patrouille, sur le front anglais, au-dessus des tranchées allemandes, s’amusant à tirer dans un ballon captif allemand qui se trouvait à 800 verges de distance et à 4 000 pieds de hauteur, lorsqu’il aperçut un avion ennemi qui photographiait les lignes anglaises. Cet avion se trouvait à environ 400 verges de l’aviateur Cartier et 150 à gauche.

Cartier mit sa mitrailleuse en action et, presque instantanément, il vit le biplan allemand qui piquait une tête avec une grande vitesse, allant tomber dans un bois, en arrière des lignes ennemies. Lorsqu’ensuite il passa au-dessus des tranchées anglaises et françaises, il entendit très bien les « Poilus » qui criaient des hourras. L’aviateur Cartier devait recevoir, peu après, son brevet d’officier.

Le même jour que Cartier eut droit à sa photo et à la manchette de La Presse, un court éditorial lui était également consacré :

« On lira avec fierté, le récit que nous publions ailleurs du récent exploit accompli, en Europe, par un jeune aviateur canadien-français, J. Narcisse Cartier, fils du Docteur A. P. Cartier, de Sainte-Madeleine.

« Abattre en quelques instants un biplan allemand qui, à quatre cents verges d’altitude, survolait les lignes franco-anglaises, c’est un fait d’armes peu ordinaire, qui est au crédit de notre heureux compatriote. Aussi, ne sommes-nous pas étonnés d’apprendre que Cartier sera incessamment promu à un grade d’officier du Corps d’aviation anglais.

« Nous nous réjouissons d’autant plus du succès de ce brave volontaire canadien qu’il est notre confrère, ayant pratiqué le journalisme à New York et à Montréal, où il compte de nombreux amis.

Pierre Vennat