Par Félix Leblond

Texte publié avec l’aimable autorisation de Daniel Laurent, rédacteur en chef d’Histomag’44. Cet article figure au sommaire du no 74 à paraître en novembre 2011.

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Même sa naturalisation de 1920 ne peut cacher les véritables origines de Jean-Cantius Garand, le concepteur du M1 Garand. Son histoire fut intimement liée à celle de l’armée des États-Unis et à celle de millions de GI’s ayant combattu avec son invention.

Jean-Cantius Garand naît le 1er janvier 1888 à Saint-Rémi, dans la province de Québec, au sein d’une famille canadienne-française comptant déjà sept enfants. Peu avant ses huit ans, sa mère décède et la famille va s’installer à Jewett City, dans le Connecticut. Il abandonne l’école à 11 ans et se trouve un emploi dans une usine de textile de la région. Aussitôt, il est fasciné par les machines qui l’entourent, se montre très curieux et surtout il cherche à comprendre leur fonctionnement. Il passe ses temps libres à élaborer divers mécanismes. Il met au point son propre cric à vis et une méthode de filage du coton qui lui fait gagner quelques sous de plus à l’usine. Bientôt, il commence à s’intéresser aux armes à feu et, avec son frère, il entreprend de se documenter. Il entame quelques expérimentations sur une Winchester .32-20. Pendant ce temps, il change d’employeur et se retrouve à Providence dans le Rhode Island à travailler dans une usine d’outillage. Il continue ses expérimentations, en inventant notamment un prototype de moto.

En 1917, les États-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne. Très vite, le besoin en armement se fait sentir et ce sera l’occasion pour Garand de se faire valoir. Alors qu’il se trouve en voyage à New York, il lit dans les journaux une annonce de l‘US Army au sujet d’une arme complètement automatique telle que la mitrailleuse Vickers dont les Anglais sont équipés. Aussitôt, une idée germe dans son esprit et il s’associe avec un autre concepteur d’arme, John Kewish.

Pendant 18 mois, Garand travaille intensément avant de terminer les plans d’une arme qui répond aux critères demandés. Il bénéficie des 50 $/semaine que Kewish lui verse en échange du droit de développer le prototype. Une fois prête, l’arme est présentée à Hudson Maxim, le frère du célèbre concepteur de mitrailleuse. Maxim trouve le concept réaliste, et convainc Garand de la présenter aux autorités militaires américaines. En 1919, il présente donc son invention, mais malheureusement pour lui l’armée avait entretemps perdu tout intérêt pour la chose à la suite de l’armistice allemande. Le projet de mitrailleuse de Garand est tout de même retenu puis, un peu plus tard, annulé.

L’armée américaine perçoit cependant le génie de Garand, qui, à 31 ans, devient ingénieur conseiller à la Springfield Armory, au Massachusetts. Peu après la fin de la Première Guerre mondiale, l’armée américaine pense justement à remplacer le Springfield M1903 par une nouvelle arme plus moderne. Le mandat est donné et, pendant 17 ans, Garand travaillera à développer une arme qui sera révolutionnaire dans les forces armées américaines.

Cette longue période de développement s’explique par les nombreuses contraintes techniques auxquelles Garand doit faire face. D’abord, le nouveau fusil devait inclure de nombreuses pièces du M1903 pour en faciliter la production. Il devait en outre servir dans toutes les branches armées, des tankistes aux cavaliers (cette condition ne sera en définitive pas respectée, mais la future USM1 remplira toutefois à merveille ce rôle). Néanmoins, la principale difficulté fut certainement la munition à  utiliser, qui devait être une cartouche de calibre .30. Par malheur, celle-ci ne s’utilisait pas avec le système du M1 du fait de sa faible puissance.

 

Garand travaillant à la Springfield Armory au début des années quarante. American Memory

 

Au début des années trente, la .30-06 Springfield (7.62x63mm), une variante de la cartouche .30, est mise au point. Cette adaptation s’avère certainement une des plus grandes réussites de Garand, qui montre bien ici ses grandes capacités techniques.

Garand est par ailleurs naturalisé citoyen américain en 1920, et devient ainsi officiellement John Cantius Garand, nom sous lequel il est habituellement connu. En 1925, une première version de son arme est présentée sous le nom de M1922. Garand s’est inspiré des carabines semi-automatiques françaises R.S.C. Mle 1917 et R.S.C. Mle 1918.

Au cours des années suivantes, divers tests sont effectués à partir desquels seront développées des variantes améliorées du M1922. Garand travaillait jour et nuit à la conception et à l’amélioration de son modèle. De nombreux autres fabricants d’armes présentèrent eux aussi des prototypes qui seront tous testés à tour de rôle. De ses essais ne naîtront ni vainqueur ni vaincu pendant longtemps. Le début des années trente voit néanmoins le commencement de la mise en valeur du prototype de Garand (alors appelé T1E2) par rapport à ceux de ses rivaux. Mais l’arme souffre encore de défauts de jeunesse.

Garand présentant son invention au Major General Charles M. Wesson et au Brigadier General Gilbert H. Stewart à la Springfield Armory en juillet 1941. American Memory

La persévérance de Garand sera finalement récompensée en janvier 1936, date à laquelle l’Armée américaine adopte officiellement le M1 Garand comme arme règlementaire. L’armée américaine devient ainsi la première grande puissance à adopter en masse une arme semi-automatique, ce qui deviendra plus tard un atout majeur face au fusil à répétition allemand et japonais. En 1937, la production commence et, en 1939, elle atteint plus de 100 exemplaires par jour à la Springfield Armory. L’armée en est complètement équipée en 1941. Au cours de la guerre, le M1 Garand est fabriqué à l’usine Winchester et àla Springfield Armory.Sa production cesse en 1957 après plus de 5.5 millions exemplaires produits. La célèbre firme Beretta l’a aussi produite au Danemark et en Italie.

Durant la Seconde Guerre mondiale, le M1 Garand devient une légende. Adoré de la troupe, il constitua un très grand avantage pour les soldats américains, son système semi-automatique augmentant sa cadence de tir jusqu’à 30 coups/minute, le double des armes traditionnelles de l’époque. Il devint l’arme de la victoire, admirée des soldats, grâce en particulier à sa précision. Le célèbre général Patton rendit lui-même hommage à l’invention de John C. Garand en disant de celle-ci : « une arme magnifique! ».

Mais le M1 possédait aussi des défauts, principalement son incapacité à insérer une seule balle dans le mécanisme et le bruit caractéristique de l’éjection du clip métallique faisant office de chargeur lorsque vide. Il reste tout de même connu comme ayant été l’un des fusils de la Seconde Guerre mondiale les plus efficaces.

Fabrication du M1 Garand en usine. American Memory

Quant à John C. Garand, il a reçu la Medal for Meritorious Service en 1941 et la Medal for Merit en 1944. Le congrès rejettera cependant un décret visant à lui accorder 100 000 dollars en guise de reconnaissance. En octobre 1940, un journaliste de la revue Popular Science a écrit à son sujet : « Vif, athlétique, la mâchoire carrée – voilà mes premières impressions sur John C. Garand quand je lui ai parlé à la Springfield Armory, il y a quelques semaines. Quand vous lui parlez, vous notez qu’il prononce certains mots avec un élégant accent canadien-français – un reliquat de sa jeunesse passée sur la ferme de sa naissance à une vingtaine de milles de Montréal[1]. »

Après la guerre, Garand a travaillé sur un nouveau projet, le T31, qui n’a jamais vu le jour. En 1953, il a pris sa retraite au terme d’une carrière bien remplie. Il s’est installé à Springfield au Massachusetts où il a vécu jusqu’à ses derniers jours. Le 16 février 1974, John Cantius Garand s’est éteint à l’âge de 86 ans.

Garand examinant un de ses fusils à la Springfield Armory en 1940. American Memory

Caractéristiques du M1 Garand

Calibre

.30-06 (7.62x63mm)

Chargeur

Clip de 8 balles

Portée utile

1000 mètres

Masse

4.9 kg

Longueur

1092 mm

Mécanisme

Emprunt des gaz

Sources bibliographiques :

TEALE, E. (1940). « He invented the world’s deadliest rifle », Popular Science, vol. 137, N° 6, p. 68-71 et 235-236.

Sources internet :

SPEIR Dean. This is the gun zone. [en ligne]. http://www.thegunzone.com/ [page consultée le 2/1/11].




[1] Edwin Teale, He invented the world’s deadliest rifle, Popular Science, vol. 137, N°6, p. 68.