Par Frédéric Smith
Texte inédit
Conscient du poids politique du Canada dans la guerre de légitimité que livrent les Français Libres à Vichy, De Gaulle s’adresse directement aux Canadiens français le 1er août 1940. Son discours est prononcé dans les studios de la BBC et retransmis sur les ondes de Radio-Canada.
En voici le texte, rarement publié au complet, tel que rapporté dans au moins deux journaux le lendemain :
« Si loin que vous soyez de moi, je n’éprouve aucun embarras à vous parler.Je veux vous parler de la France. Et personne au monde ne peut comprendre la chose française mieux que les Canadiens français.Je ne vous énumérerai pas nos erreurs militaires, morales, nationales. Le soldat, le catholique, le Français qui vous parle les connaît et les reconnaît. Pensez seulement qu’aucune nation n’avait subi, supporté, accepté des sacrifices pareils aux sacrifices qui furent subis, supportés, acceptés par nous de 1914 à 1918. Les Français étaient morts en masse sur les champs de bataille, et ceux-là étaient les meilleurs. En sont témoins les Canadiens enfouis dans la même terre.
Mais, des conquérants se sont dressés, dont le triste génie exploite implacablement les erreurs des autres. Nos propres fautes, celles de nos alliés ont fait que ces conquérants ont vaincu l’armée française. Alors parmi les dirigeants une affreuse conjuration de panique a livré à l’ennemi notre armée, notre indépendance et jusqu’à la possibilité de penser librement en français.
Maintenant, la France est à reconquérir, après quoi elle sera à refaire. Et c’est pourquoi l’Âme de la France cherche et appelle à travers l’univers ceux qui aiment ce qu’elle est, ce qu’elle vaut, tout ce que siècles après siècles, elle a su faire pour les autres.
L’âme de la France cherche et appelle votre secours, le vôtre, Canadiens français. Votre secours, elle le cherche et l’appelle, parce qu’elle vous connait. Elle sait quelle part vous avez dans le passé, dans le peuple, dans le peuple, dans l’État auxquels vous appartenez dans ce pays, dans ce peuple, dans cet État qui montent, elle connaît tout ce qu’il y a de puissance et d’espérance. L’âme de la France cherche et appelle votre secours parce qu’elle mesure votre rôle et votre importance à l’intérieur de l’Empire britannique qui, aujourd’hui, soutient presque seul la cause de ceux qui veulent être libres.
Votre secours, l’âme de la France le cherche et l’appelle, parce que le destin a fait du Canada la terre d’union de l’Ancien et du Nouveau Monde. Or, dans cette guerre mondiale, aucun homme de bon sens ne tient pour possible la victoire de la liberté sans le concours du continent américain. Enfin, l’âme de la France cherche et appelle votre secours, parce qu’elle trouve dans votre exemple de quoi ranimer son espérance en l’avenir, puisque, par vous, un rameau de la vieille souche française est devenu un arbre magnifique; la France, après ses grandes douleurs, la France, après la grande victoire, saura vouloir et saura croire. Canadiens français, recevez le salut confiant d’un soldat français, à qui, pour l’instant, incombe le grand devoir de parler seul au nom de la France ».
Le lendemain, le texte de l’appel est publié sans commentaire dans L’Action Catholique, en deux parties reléguées aux deux dernières pages, et dans La Patrie en page huit. La Patrie annonce également la condamnation à mort de De Gaulle en page six (celui-ci est condamné par le tribunal militaire permanent de Clermont-Ferrand pour «atteinte à la sûreté extérieure de l’État et désertion à l’étranger en temps de guerre»).
Le journal Le Canada, prêt du Parti Libéral, donne plus d’importance à la nouvelle, titrant même en première page, au-dessus de la signature du journal: « Pressant appel du général Charles de Gaulle aux Canadiens français ». Rappelant dans un article aussi publié en Une que de Gaulle « est reconnu comme le chef des Français libres de l’Empire britannique » et qu’il a demandé aux Canadiens français « d’aider à la France à renaître », Le Canada retranscrit ensuite l’allocution en page dix.
On constate toutefois, dans les jours qui suivent, que l’appel aux Canadiens français est reçu avec une certaine indifférence. Une tiédeur qui fait l’affaire d’Ottawa et du ministre Ernest Lapointe pour qui « rien ne serait plus dangereux que la naissance au Québec d’une controverse Pétain-de Gaulle ». La situation laisse toutefois présager que l’aura du maréchal Pétain est plus forte dans la province qu’on ne le croyait et que Charles de Gaulle, ce général pratiquement inconnu réfugié à Londres, aura fort à faire pour retourner l’opinion publique canadienne-française.
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