Yves Ouellet, collaboration spéciale |
La Grande Guerre fait toujours partie de la réalité quotidienne des Flamands, ne serait-ce qu’à cause des 170 cimetières militaires qui entourent la ville d’Ypres, théâtre de trois batailles dont la cruauté a dépassé l’entendement. Il y aura bientôt 100 ans que la Flandre refuse d’oublier ce cauchemar.
Le cinéma a récemment contribué à nous faire découvrir l’horreur des combats qui se sont déroulés dans les champs du «Plat Pays». Joyeux Noël, en 2005, évoquait l’incroyable trêve survenue entre les troupes britanniques et allemandes le 25 décembre 1914. En 2005, le réalisateur canadien Paul Gross tournait La bataille de Passchendaele, un film puissant qui évoque l’enfer vécu par les soldats canadiens en Belgique. À l’approche du 100e anniversaire de la Grande Guerre, la Flandre ravive des souvenirs qu’elle souhaite que le monde n’oublie jamais.
Ypres, la ville martyre, voisine de Bruges et de Gand, sera au centre de cette grande commémoration comme elle a été au coeur de l’action tout au long de la Première Guerre mondiale. Stratégiquement située à 10 km de la frontière française et à 60 km de la mer, elle a été totalement détruite, sa reconstruction s’étant poursuivie jusqu’après la Seconde Guerre. Elle a depuis retrouvé tout son charme et son cachet historique, elle qui fut la grande cité drapière d’Europe à l’époque médiévale. L’immense Halle aux draps, qui domine les abords de la Grand Place, est devenu le Musée In Flanders Fields, présentement en rénovation, mais qui inaugurera le 12 juin une grande exposition sur les batailles des Flandres et qui sera au centre des activités commémoratives.
Ypres perpétue sans relâche la mémoire de la Grande Guerre avec ses monuments, ses boutiques de souvenirs qui affichent les drapeaux alliés, dont celui du Canada. On trouve même deux commerces spécialisés dans la vente d’artefacts de la Première Guerre. Toutefois, l’incarnation la plus vive du souvenir est vécue au Mémorial de la porte de Menin, un arc de triomphe sur lequel sont gravés les noms de 54 896 soldats du Commonwealth, dont quelques Québécois du 13e Bataillon de fusiliers à cheval (Royal Highlanders) et du Royal 22e Régiment, morts jusqu’au 15 août 1917. Depuis l’inauguration du mémorial, en 1927, les clairons y résonnent chaque fin de journée, à 20h, lors de la cérémonie du Last Post durant laquelle des étudiants et des familles, dont plusieurs Canadiens, viennent déposer des couronnes de fleurs et honorer «ceux qui sont morts pour la liberté».
Fête des chats
Ypres, sur un ton plus léger, est aussi la ville des chats. Ils y étaient très nombreux dans le passé, alors qu’on avait recours à eux pour contrôler la population de rongeurs dans les entrepôts de tissus. Et quand il y avait trop de chats, on les lançait tout simplement du haut des 70 mètres de la tour du Beffroi. De nos jours, la Fête des chats rappelle cette tradition cruelle avec humour. Ce sont des chats de peluche qu’on précipite de la tour après un grand défilé qui célèbre les chats dans l’histoire. Des chats électroniques sont dispersés dans la ville, et on entend leurs miaulements constamment. La tournée des cimetières et des monuments commémoratifs est un incontournable. Près d’un demi-million de combattants des deux camps sont tombés dans la région d’Ypres. Ils étaient immédiatement enterrés aux abords des champs de bataille et, dans les années qui suivirent la guerre, on a aménagé des cimetières qui se démarquent par leur symétrie. La majorité des victimes, dont on n’a pas retrouvé la plaque matricule, n’a pu être identifiée. Ce qui explique le grand nombre de pierres tombales avec la simple mention: «A Soldier of the Great War».
Le cimetière Essex Farm reste l’un des plus intéressants avec celui de Passchendaele (Tyne Cot). Essex Farm se démarque, puisqu’on y trouve les vestiges d’une infirmerie de campagne, sorte d’abri de ciment où les victimes étaient amenées des tranchées du saillant d’Ypres situé tout près. Les troupes canadiennes y ont d’ailleurs été les premières de l’histoire à être exposées aux armes chimiques, les Allemands utilisant d’abord le chlore, dès 1915, puis le gaz moutarde. C’est également à cet endroit que le lieutenant John McCrae est passé à l’histoire avec son poème In Flanders Fields dans lequel il évoque le coquelicot, la première fleur qui pousse dans les champs labourés par les obus. John McCrae était un médecin d’origine ontarienne qui pratiquait à Montréal lorsqu’il s’est joint au Corps expéditionnaire canadien en 1914. Son poème a inspiré les militaires de l’époque, et c’est à sa suite que le coquelicot est devenu la fleur du souvenir.
La sépulture la plus fleurie du cimetière d’Essex Farm est celle d’un jeune fusilier de 15 ans, V. J. Strudwick, qui, comme des milliers d’autres, a dissimulé son âge pour s’enrôler.
À Passchendaele, minuscule village qu’évitent les autocars de touristes, le vaste cimetière Tyne Cot abrite les tombes de près de 12 000 morts (1011 canadiens) et les noms de près de 35 000 autres sont gravés sur l’enceinte de la nécropole. À ce lieu émouvant s’ajoute un centre d’interprétation sobre mais fascinant qui présente lettres et photos ainsi que nombre d’objets qui, comme les ossements, continuent d’émerger des terres agricoles depuis un siècle.
Bunkers
Quant aux Allemands, leurs pertes ont été aussi massives que celles des alliés et leurs morts ont aussi été enterrés sur place. On comptait environ 150 cimetières allemands après la guerre. On les a regroupés dans quatre lieux au cours des années 50, et le cimetière militaire de Langemarck s’avère le plus important en perpétuant le souvenir de 44 500 soldats. Il règne une ambiance troublante dans cette nécropole paisible et boisée, habitée par des ombres dramatiques, et dans laquelle on a préservé deux bunkers qu’Hitler a visités en 1940.
Les Américains possèdent également 2,5 hectares de terrain sur le champ de bataille de Weregen, qu’ils ont aménagés à l’ombre du drapeau, comme un vaste jardin planté de croix de marbre immaculées, dans une symétrie théâtrale. Le décor de marbre de la petite chapelle qui se dresse au centre du Flanders Field American Cemetery est particulièrement remarquable.
Quant au Canada, il a rendu hommage à ses combattants tombés au champ d’honneur en leur élevant un monument impressionnant et poignant dans le parc verdoyant du mémorial Saint-Julien.
Source : http://www.lapresse.ca/le-soleil/voyages/201205/27/01-4529074-la-memoire-flamande.php