À l’automne 2013, nos coéditeurs Sébastien Vincent et Frédéric Smith étaient approchés par Radio-Canada afin de participer à la recherche et au tournage d’un épisode de l’émission Qui êtes-vous? consacré au comédien Claude Legault.

Passionné de la Seconde Guerre mondiale, Claude Legault a grandi en imaginant comment son oncle maternel, Évariste Lagacé, avait combattu en Normandie et vécu cette guerre au sein du North Shore Regiment. Dans cet épisode, Claude confronte ses souvenirs et les bribes d’histoires racontées par son oncle avec la réalité. Il retrace la vie militaire du soldat Lagacé au cours d’un voyage émouvant qui l’amène en Angleterre, en Italie et en Hollande.

Le format de l’émission n’ayant permis de présenter l’ensemble de la recherche, Sébastien Vincent et Frédéric Smith vous proposent de visiter plus en détails le parcours du soldat Lagacé. Cette série d’articles vous est présentée avec l’aimable autorisation de Radio-Canada, de Claude Legault et de sa famille.

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Evariste Lagace2Évariste Lagacé s’engage

Quelques vétérans ont laissé des journaux et récits de guerre relatant leur expérience de la guerre. Mais pour la majorité d’entre eux, le parcours demeure plus difficile à établir, au travers des quelques bribes d’information peut-être dévoilées au cours de leur vie.

Une copie du dossier militaire, disponible à certaines conditions auprès de Bibliothèque et Archives du Canada, demeure le point de départ incontournable pour cerner de façon précise la carrière militaire d’un soldat, de son engagement à sa démobilisation. Ce fut le cas au moment de nous lancer aux trousses du soldat Évariste Lagacé.

Un premier document, Canadian Active Service Force – Attestation paper, permet de cerner les origines modestes du soldat Lagacé au moment de son engagement à Bathurst, le 17 juin 1941.

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D’entrée de jeu, on note que le nom de famille n’a pas été consigné correctement. On constate toutefois au bas du document qu’Évariste n’a pu le signer (un autre document mentionnera plus loin que Lagacé est illettré, comme bien d’autres jeunes hommes issus de milieux ruraux à l’époque). Aux oreilles du recruteur, Lagacé serait devenu Legacy, un patronyme répandu au Nouveau-Brunswick.

Né le 15 septembre 1921 à Green Point, dans le comté de Gloucester au Nouveau-Brunswick, le jeune Lagacé est agriculteur et célibataire au moment de son engagement, et n’a jamais servi dans les forces armées canadiennes. En raison de son âge, on peut déduire qu’il s’est engagé tout à fait volontairement.

Le volontariat

Évariste Lagacé n’a pas tout à fait 20 ans lorsqu’il s’engage. Il s’agit donc d’un engagement purement volontaire, puisque la Loi sur la mobilisation des ressources nationales (loi LMRN) adoptée en juin 1940 obligeait seulement les jeunes hommes célibataires entre vingt et un ans et vingt-quatre ans à s’inscrire sur une liste de recrutement, ainsi qu’à effectuer un entraînement militaire de base d’un mois. Cet entraînement de base sera augmenté à quatre mois en janvier 1941, puis potentiellement à toute la durée de la guerre en avril. Le passage dans un des camps d’entraînement de base terminé, l’individu devient réserviste. Selon la loi de 1940, la recrue LMRN ne peut servir qu’en sol canadien. Le plébiscite de 1942 autorisera le gouvernement canadien à recourir à la conscription pour le service outremer, laquelle ne sera introduite qu’en novembre 1944.

Lagacé n’aura donc pas attendu l’âge de 21 ans pour s’engager. Ses motivations sont connues, puisque consignées dans un document (Cards Punched 5)  : à la question d’un recruteur, Lagacé répond s’être engagé to fight (pour se battre).

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De façon générale, les motivations des volontaires sont diverses : présence d’une tradition militaire dans la famille; occasion d’apprendre l’anglais; goût de l’aventure; fuite de l’autorité parentale; patriotisme; apprentissage d’un métier technique; revenu garanti; etc.

Il existe aussi de grands avantages à se porter volontaire. Outre une paie décente, la recrue a la possibilité de choisir le service (air, mer ou terre) et parfois l’unité, donc de demeurer avec ses copains, ou encore d’apprendre un métier pouvant être utile dans le civil après la démobilisation.

Pour l’ensemble de la Seconde Guerre mondiale, l’historien officiel C. P. Stacey dénombre 131 618 volontaires Québécois, francophones et anglophones, dont 94 446 dans l’Armée de terre. Jean-Yves Gravel estime le total de Canadiens français volontaires à 55 000, incluant les Acadiens, les Franco-Ontariens et les francophones de l’Ouest.

 

Évariste Lagacé s’entraîne au Canada

Un autre document, intitulé Particulars of family of an officer or other rank of the Canadian Army (AF) or R.C.A.F. (on active service) est signé le 20 juin et précise que Lagacé reçoit le matricule G18966 et est affecté au Dépôt du District no. 7. Plus loin, on y trouve également le nom de ses parents, Joseph et Elisabeth.

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Lagacé  entreprend son entraînement de base auprès de l’infanterie et subit sans doute des examens médicaux. Un document produit quelque mois plus tard consigne grandeur, poids, sports pratiqués, etc. 

On y apprend qu’il évolue à la position de receveur au baseball, et de défenseur au hockey. À ce propos, il est intéressant de noter que seules les activités de la Ligue nationale de hockey seront maintenues pendant la guerre, parmi les sports majeurs. En Angleterre, les Canadiens formeront 75 équipes de hockey grâce à des équipements fournis pour la plupart par le YMCA.

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Le dossier militaire du soldat Évariste Lagacé fait ensuite une large place aux états de service, un tableau sur lequel sont consignés tous les déplacements du soldat, de même que ses affectations. On apprend ainsi que le soldat Lagacé est affecté le 1er août 1941 au Militia Training Center #70 de Fredericton. 

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Il y demeure jusqu’au 30 septembre, soit un laps de temps conforme aux huit semaines d’instruction élémentaire. Au cours de cette période, les hommes reçoivent un entraînement physique pour renforcer leurs corps, de l’instruction sur l’armement pour se familiariser avec les outils de la guerre et de l’instruction spécialisée (premiers soins et autres) pour acquérir les rudiments des habiletés essentielles sur le champ de bataille. Les troupes s’exercent également à la drill : position de garde-à-vous, de repos, évolutions en rang et maniement de fusil.

À partir du 1er octobre, on retrouve le soldat Lagacé à Aldershot, Nouveau-Brunswick, où il complète le 13 décembre son instruction avancée auprès du Centre de formation d’infanterie #14. Pendant cette phase de deux mois, on apprend à se battre en sections d’une dizaine d’hommes, en pelotons de trois sections et en compagnies de trois pelotons de fantassins. On initie les soldats aux tactiques de base. Ceux-ci s’exercent au tir au fusil, au montage de la tente, à la cuisine extérieure et au creusage de latrines et de tranchées. Mais surtout, on marche pour tester l’endurance. Certains vétérans, sarcastiques, diront plus tard que ces marches les auront préparé à la principale activité à laquelle ils s’adonneront en Europe, tant en Angleterre qu’en théâtre de guerre… 

 

Évariste Lagacé traverse en Angleterre

Au terme de son entraînement de base en terre canadienne, le soldat Évariste Lagacé s’embarque  le 14 décembre 1941 (vraisemblablement au port d’Halifax) en tant que membre de l’Unité de Renfort d’Infanterie de la 3eme Division.

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Alors que la Bataille de l’Atlantique fait rage, les convois de troupes partent généralement d’Halifax sous escorte de contre-torpilleurs canadiens. Un cuirassé d’escadre anglais les accompagne pendant le voyage, tandis que des contre-torpilleurs les accueillent à l’approche des Iles britanniques. La plupart des transports remontent la Clyde jusqu’en Écosse, en contournant l’Irlande : ce secteur est moins vulnérable aux attaques des sous-marins allemands. Une fois les eaux britanniques sécurisées par la victoire des Alliées sur l’Atlantique, plusieurs transports se rendront plutôt à Liverpool, occasionnant ainsi des voyages en train moins longs pour les troupes généralement attendues au sud de Londres. 

Évariste Lagacé traverse l’Atlantique alors que les incursions allemandes s’intensifient le long des côtes américaines. Il arrive néanmoins sain et sauf, vraisemblablement dans le secteur de Greenock ou de Gourock, près de Glasgow. Lagacé se rapproche de la guerre. Il ne se doute pas encore que l’Angleterre sera sa terre d’accueil pour les 15 prochains mois. 

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Dans le prochain article, Évariste Lagacé s’acclimate à la vie en Angleterre et se prépare impatiemment à traverser sur le continent pour aller « faire sa guerre ».

Frédéric Smith