Pierre Vennat
Journaliste-historien

Extrait des notes d’un cours donné à l’automne 2010 pour le compte de l’Antenne de Joliette de l’Université du Troisième âge, une constituante de l’Université de Sherbrooke.

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Il serait injuste vis-à-vis des Québécois qui ont fait partie du Corps expéditionnaire canadien d’essayer de décrire tous leurs exploits en quelques paragraphes. Personne n’a jamais et ne pourra sans doute jamais raconter en détail cette histoire. J’ai tenté de le faire dans deux volumes intitulés Les Poilus québécois de 1914-1918 (1999, Éditions du Méridien) disponibles dans plusieurs bibliothèques. Ce que je raconte ne constitue qu’une goutte d’eau dans l’océan.

La plupart des combats auxquels les Canadiens ont prit part pendant la Première Guerre mondiale furent des opérations offensives.

Le 6 février 1915, un premier groupe de Canadiens traversa la Manche. Ils débarquèrent en France à Saint-Nazaire, Les 18 000 hommes de la 1re Division furent progressivement initiés au combat. Entre le 17 février et le 2 mars, chacune des trois brigades fut détachée durant une semaine auprès d’une division britannique où elle fut mise au fait de la routine entourant un siège, ce que constituait déjà les combats sur le front ouest.

Les Canadiens furent d’abord cantonnés en Flandre française, à environ 16 kilomètres de la ligne de feu. Le 26 février 1915, les hommes du 14e Bataillon (Royal Montreal Regiment) partirent pour la première fois pour les tranchées situées à Neuve-Chapelle.

Pour cette première expérience, les Canadiens avaient comme entraîneurs une compagnie d’un régiment britannique de la fameuse Rifle Brigades. Les hommes et les officiers étaient placés au milieu de soldats britanniques afin de leur transmettre l’expérience et la confiance nécessaires. 

Finalement, le 2 mars 1915, les Canadiens apprirent dans la matinée qu’ils iraient remplacer dans les tranchées une division britannique. Du 10 au 12 mars 1915, ils participèrent à leur premier engagement. 

En avril, la 1re division britannique se vit confier une zone d’environ 3,5 kilomètres de front, à l’extrême gauche du corps expéditionnaire britannique avec, à leur gauche, une division coloniale française. Entre le 20 avril et le 4 mai 1915, les Allemands tentèrent à plusieurs reprises de percer entre la position des coloniaux algériens et celle des Canadiens. 

Durant la deuxième bataille d’Ypres, du côté belge, le 22 avril 1915 les Allemands utilisèrent pour la première fois les gaz asphyxiants. Grâce aux Canadiens, qui perdirent 5 975 hommes parmi lesquels plus de 1 000 tués, les autres ayant été blessés, capturés par l’ennemi ou portés disparus dont 3 058 durant la seule journée du 24, les Alliés restèrent maîtres du terrain. Du nombre total des pertes canadiennes, 5 026 étaient des fantassins. 

Le 26 avril, d’ailleurs, le quotidien montréalais La Presse titrait, sur toute la largeur de sa une : « Le Canada a versé à la civilisation l’impôt du sang et de la vaillance ». Sous ce titre ronflant, on pouvait lire que la seule ville de Montréal comptait 14 officiers tués ou blessés, à la désormais fameuse bataille de Langemarck, qui constituait pour les Canadiens un véritable baptême de feu. Trois officiers canadiens-français, le major Hercule Barré et les lieutenants Adolphe Dansereau et Henri Quintal avaient été blessés. 

Les Canadiens venaient en effet d’écrire, en Belgique, une des pages les plus héroïques de l’histoire militaire du pays. Bien sûr, les Canadiens s’étaient distingués en Afrique du Sud durant la guerre des Boers et ses canotiers en Égypte sur le Nil, mais jamais ils n’avaient été mis à l’épreuve ni eu à combattre comme sur le canal de l’Yser où leur sang s’était trouvé mêlé à celui de leurs compagnons français, belges et britanniques luttant contre des milliers de soldats allemands. 

Comme l’écrivirent les correspondants de guerre du temps, leur position était des plus terribles; à leur gauche, la ligne des Alliés, avait dû repasser le canal de l’Yser, étouffant dans les nuages de gaz empoisonné, poursuivie par les Allemands dont l’action était d’autant plus rapide qu’ils devaient profiter du peu de temps que leur offrait le nuage asphyxiant qui flottait devant eux et qui enveloppait l’extrême droite des Belges et des Français. 

Si les Canadiens avaient reculé, tout aurait été perdu : les lignes alliées auraient été percées et Ypres et Calais, l’objectif suprême des Allemands, aurait été en danger. Les Canadiens, en dépit de lourdes pertes, tinrent bon et ce, malgré la maladie, l’aveuglement et l’asphyxie causés par la fumée. En fait, ils firent face à l’ennemi de deux côtés à la fois, luttant dos à dos à la baïonnette, infligeant de lourdes pertes aux Allemands. 

Quelque temps plus tard, rapatrié à Montréal après avoir succombé à la fatigue et à l’action des gaz empoissonnés, le major Émile Ranger, un officier canadien-français ayant participé à la défense d’Ypres, avait expliqué qu’il n’y avait aucune raison stratégique qui força les Alliés à garder Ypres. Selon lui, c’était parce que Ypres constituait la dernière des villes belges de quelque importance qui ne soit pas tombée aux mains des Allemands.

Quoi qu’il en soit, lorsque les Canadiens arrivèrent à Ypres le 15 avril 1915, ils occupèrent une tranchée qui avait été creusée parmi les cadavres lors de la première bataille d’Ypres de l’automne précédent et où pas moins de 200 000 hommes furent blessés. C’est dans cette tranchée nauséabonde, au milieu de cadavres en décomposition, que les Canadiens ont passé cinq jours. Transférés à Saint-Julien, tout près, les Canadiens résistèrent à l’effort de 200 000 soldats allemands, sans avoir mangé ou bu durant 48 heures.

Pierre Vennat