Par Robert Aird
Texte inédit
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Ce sketch pourrait s’intituler tout aussi bien « les avantages de l’enrôlement ». Non pas qu’on cherche ici à faire le relais de la propagande fédérale, bien que le gouvernement ne pouvait qu’y voir un bénéfice pour convaincre quelques réticents. Gratien Gélinas et ses auteurs ne font que refléter une réalité : la fin du chômage et la hausse substantielle des revenus pour ceux qui osent s’enrôler dans l’armée de réserve. Nous ne sommes qu’au tout début de la guerre et le gouvernement n’a toujours pas l’intention de la mobiliser pour l’envoyer au front.
« Les joyeuses commères de la rue Panet » décrit une scène typique de la rue montréalaise en été : les enfants qui jouent sur le trottoir et dans la rue, ainsi que les mères qui les surveillent dans leurs fenêtres ouvertes d’un second étage. C’est aussi un prétexte pour discuter de la pluie et du beau temps entre voisines. Dans ce cas-ci, le passage d’une parade militaire au sein de laquelle participe l’époux de madame Pitre, Joe. Sa voisine Laluette envie leur nouvelle situation, depuis que ce dernier s’est enrôlé : « Je peux pas dire comme je vous trouve chanceuse, vous, d’avoir un mari enrôlé! » Cette déclaration se veut sans doute ironique, au moment où le discours dominant demeure plutôt de contester l’enrôlement, la participation à la guerre et la menace de la conscription. Mais les combats sont lointains. Mme Pitre y voit une belle distraction, alors que Mme Laluette remarque : « Ben sûr, la guerre, c’est pas drôle pour tout le monde, mais…y en a pour qui c’est une vraie bénédiction! »
En effet, l’enrôlé en question a mis un terme à cinq années de chômage et gagne de l’argent. La guerre signifie la sortie de la crise économique et de la profonde misère pour de nombreux nord-américains. Et s’est également l’occasion d’en rire…Laluette remarque qu’il « se tient raide, hein, depuis qu’il est là-dedans! ». Pitre de répondre que le capitaine « a plus le tour que moi. » Une occasion supplémentaire pour écorcher les mœurs politiques de l’époque :
laluette
Comment ça se fait, donc, qu’ils ont accepté votre mari dans l’armée? Avec la potée de p’tits que vous avez, ils les prennent pas d’habitude.
[…]
pitre
Le général voulait pas! Seulement, j’ai été voir notre député, puis il a fait enrôler Jos par protection.
laluette
Cré yable! Vous avez du « pushing », vous autres!
pitre
C’est ben le moins : ça faisait trois élections que mon Jos travaillait « steady » pour lui!
Évidemment, il n’y a pas que des avantages, le mari étant souvent absent de la maison. Mais son épouse finit par y trouver son compte avec un sous-entendu qui devait chatouiller les oreilles pudiques de l’époque :
pitre
(Les yeux dans le vague.)Ben…à matin, j’aurais aimé ça qu’il vienne faire un tour…
laluette
(Les yeux ronds.) Ouais?
pitre
J’aurais ben voulu que…(Elle s’arrête, ravalant sa salive.)
laluette
(En espérant le pire.)…Que quoi?
pitre
(Se ressaisissant.) Qu’il vienne me déboucher mon « sink »!
laluette
(Ne lâchant pas.) Pis le soir, il vous manque pas?
pitre
Le soir?
laluette
Ben oui…le soir…le soir…
pitre
(Crie vers la rue.) Arsène, s’u le trottoir! J’te l’dirai plus! (À l’autre.) Regardez ça, madame Chose : huit-z’enfants…Ben! c’est une sacrée bonne affaire que le père couche à la caserne pour quèques soirs.
Ici, comme à son habitude, Gélinas termine la scène avec une chute comique. Ainsi donc, il existe des bons côtés à cette guerre pour les Canadiens français, contrairement à ce que stipule ses opposants. Dans « Les joyeuses commères de la rue Panet », c’est la voix du peuple, des gens modestes qui se fait entendre par le biais des comédiennes qui reproduisent en même temps une scène du quotidien de la vie urbaine. Ce sketch annonce d’une certaine façon la prochaine revue de Fridolin, « La croisade du rire ». Le rire de Fridolin n’est pas qu’une arme politique et sociale. Son rôle est aussi, et peut-être même surtout, régulateur, en ce sens qu’il renforce le moral des Canadiens français au cours de cette période trouble.
Ici, comme à son habitude, Gélinas termine la scène avec une chute comique. Ainsi donc, il existe des bons côtés à cette guerre pour les Canadiens français, contrairement à ce que stipule ses opposants. Dans « Les joyeuses commères de la rue Panet », c’est la voix du peuple, des gens modestes qui se fait entendre par le biais des comédiennes qui reproduisent en même temps une scène du quotidien de la vie urbaine. Ce sketch annonce d’une certaine façon la prochaine revue de Fridolin, « La croisade du rire ». Le rire de Fridolin n’est pas qu’une arme politique et sociale. Son rôle est aussi, et peut-être même surtout, régulateur, en ce sens qu’il renforce le moral des Canadiens français au cours de cette période trouble.
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