Par Éric Giguère
Lorsque Hitler décide de mettre en branle l’opération Barbarossa en juin 1941, les dangers d’une invasion par voie de débarquement sur le front de l’Ouest sont minimes. Puis l’échec des Alliés à Dieppe, le 19 août 1942, le persuade qu’il est inutile pour le moment de mobiliser des soldats de premier plan pour surveiller la côte. Le Führer concentre donc l’élite de ses troupes sur le front de l’Est.
Or, au printemps 1944, la situation est toute autre et les services de renseignements allemands en sont conscients. Hitler, après l’échec de l’Afrikakorps à contenir l’offensive de Montgomery, ordonne à Rommel de renforcer le mur de l’Atlantique par tous les moyens. L’ajout de divisions d’élite dans le secteur est une suite logique de ce renforcement. Pourtant, certains mythes ont la carapace dure et plusieurs croient encore que les Alliés se sont frottés à des divisions de deuxième ordre en Normandie. On évoque souvent le fait que les Alliés ont eu à faire face à des gamins : la Hitlerjugend.
Ce nom est trompeur. On croit à tort qu’il s’agit d’enfants à peine sortis des bancs d’école : il n’en est rien. Adolescents pour la plupart, ils ont subi un endoctrinement peut-être plus efficace encore que chez l’adulte habituellement moins influençable. Ces jeunes démontreront une détermination hors du commun et un acharnement comparable à celui des troupes du front de l’Est. Ils se fieront aveuglément à leurs chefs, des officiers expérimentés ayant combattu sur plusieurs fronts. Comment l’idée d’envoyer des gamins au combat a-t-elle bien pu germer dans la tête des dirigeants allemands?
Dans la foulée des premiers revers qui déciment les rangs de l’armée allemande, les bonzes du IIIe Reich forment de nouvelles unités de Waffen SS. La guerre s’éternisant à l’est et la menace d’une invasion alliée se faisant sentir à l’ouest, l’Allemagne commence à manquer de chair à canons pour former de nouvelles divisions. L’idée germe dans la tête d’Arthur Axmann[1], qui réussit à convaincre Heinrich Himmler que les jeunes de la Hitlerjugend pourraient s’avérer des recrues potentielles, voire devenir de redoutables guerriers. Il obtient l’autorisation d’en discuter avec le recruteur officiel de la Waffen SS, Gottlob Berger. Celui-ci est tellement séduit par l’idée qu’il demande l’autorisation de la mettre en œuvre personnellement. Le Reichsführer la lui refuse catégoriquement, arguant que chacun doit servir là où il est le plus utile.
Berger se tourne alors vers le commandant de la Liebstandarte Adolf Hitler, Josef « Sepp » Dietrich, afin d’obtenir son avis éclairé quant à la nomination des prochains dirigeants de cette unité d’élite. L’Obergruppenführer lui suggère Fritz Witt pour commander ces jeunes hommes. Cet officier, vétéran de presque tous les fronts, compte parmi les meilleurs chez les anciens de la garde personnelle du Führer. On lui donne carte blanche pour le choix des cadres de sa nouvelle division. Il s’entoure des meilleurs guerriers disponibles : Kurt (Panzermeyer) Meyer, Wilhelm Mohnke, Max Wünsche, et Gerhard (Gerd) Bremer. Ces hommes, décorés pour leur bravoure sur le front de l’Est, inspireront un respect frôlant l’idolâtrie chez les jeunes loups de la Hitlerjugend, et créeront une machine de guerre aussi efficace qu’impitoyable.
Les Canadiens combattront ces jeunesses hitlériennes de la 12e SS panzerdivision et constateront qu’ils ne sont pas en présence d’enfants de choeur. Les exactions commises contre les prisonniers témoignent d’un fanatisme qui les pousse à un niveau de cruauté assez rare chez des individus aussi jeunes. Un schmeisser, un mortier, une mg42, un flak88, un panzerschreck et/ou un nebelwerfer demeurent aussi dangereux dans les mains d’un adolescent que dans celles d’un adulte. Et les soldats qui leur font face n’ont souvent que quelques années de plus que leurs opposants. La pierre tombale du soldat Gérard Doré des Fusiliers Mont-Royal, mort à 16 ans à Verrières, en est un bon exemple. Ralph Allen, correspondant de guerre du Globe and Mail, estime quant à lui que ces jeunes Allemands sont « des enfants qui n’ont jamais eu la chance d’être les enfants qu’ils auraient pu être ».[2]
Le major de brigade Kingsmill et d’autres chefs de rang des Hamilton Light Infantry of Canada décrivent ainsi ceux qu’ils ont affrontés :
« Nos hommes ont été témoins du sacrifice insensé des Jeunesses hitlériennes. Ils combattent encore en francs-tireurs dans les ruines de Caen, et leurs camarades sont toujours là où ils sont tombés à Buron, Gruchy, Authie, Cussie, Saint-Contest, dans leurs trous individuels au milieu des blés, dans les chars calcinés et les ruines des habitations. Un tout petit nombre s’est rendu, les autres sont parvenus à se replier à travers Caen, mais tous ceux qui sont là attestent de l’âpreté du combat des dernières 36 heures. Nous nous déplaçons à pied à travers le champ de bataille de la veille, encombré des débris guerriers habituels. Armes cassées, équipements lacérés par les éclats, munitions éparses, et ce Sherman brûlé à quinze mètres seulement du canon de 7,5 cm Pak qui l’a foudroyé. Cela vous donne une idée du type de combat.
Les Waffen-SS sont restés plaqués au sol jusqu’à ce que le blindé soit sur eux et, d’un bond, ils ont tiré à bout portant avec leur canon camouflé. Ils ont eu le Sherman, mais évidemment, mes gars les ont liquidés à la grenade! Ceux-là se sont habilement dissimulés quand on est passé à trois mètres d’eux, notez les uniformes camouflés, le couvre-casque réversible selon la nature du terrain, et le masque facial qui permet de voir sans être aperçu. Ils nous ont laissés les dépasser et ont ouvert le feu dans notre dos à l’arme automatique. Il était pourtant inconcevable qu’ils aient pu survivre à l’énorme pilonnage de notre artillerie, et à leur propres obus! Il a fallu les réduire au PM et au revolver, sans faire de quartier, on ne pouvait les extraire de leurs trous!
Là-bas, un autre jeune s’est tiré une balle dans la bouche, le P38 s’y trouve toujours! Le Major Wilson à côté de moi me dit qu’hier, quand il est passé là, il a vu le gosse se suicider alors qu’il s’apprêtait à le capturer. Nous retirons le pistolet, c’était la dernière balle. Le Major Anderson raconte avoir assisté à la charge de quelques garçons surexcités à l’extrême, munis de grenades anti-chars magnétiques qui fonçaient tout droit dans le feu des mitrailleuses des chars. Le Major Sparks nous décrit comment cet autre moins de 18 ans relançait les grenades que nous lui expédions. Quand l’une d’elles finit par éclater lui arrachant le bras droit, il continua de la main gauche jusqu’à ce que l’inévitable se produise. »
Le capitaine Jack Martin, des Queen’s Own Rifles, qui a assisté à plusieurs interrogatoires en leur présence les décrira ainsi :
« Des jeunes gens imberbes dont la plupart n’ont que 16 ou 17 ans. Ils se tiennent fixement au garde-à-vous en présence d’un officier et répondent sans mentir et sans hésiter à toutes les questions, mais demeurent inébranlables dans leur conviction manifeste que l’Allemagne ne sera jamais vaincue[3]. »
Les divisions d’élite chez les Waffen SS adoptent un comportement similaire aux soldats japonais, par le courage et la témérité qu’ils démontrent à résister moralement aux bombardements terrestres, aériens et navals, avant de tenir leurs lignes jusqu’à la dernière cartouche, qu’ils gardent souvent pour eux-mêmes afin d’éviter d’être faits prisonniers. Cette attitude est sans doute renforcée par une rumeur voulant que les Canadiens ne fassent pas de quartier. Dans les faits, le déroulement des combats oblige souvent les deux camps à agir ainsi. Les crimes commis contre les prisonniers canadiens par les SS créent un sentiment de rage vindicative. Le soldat Georges Isabelle, du Régiment de la Chaudière, reçoit de son officier supérieur un ordre strict : « On nous avait ordonné de ne plus faire de prisonniers jusqu’à nouvel ordre. Quand vous tombez sur des soldats de votre régiment crucifiés sur les murs d’une grange… » Drôle de jeu quand même pour des enfants!
Le 14 juillet 1944, un habitant de la région de Caen, Édouard Lagnel, voyant les soldats de la Wehrmacht relever ceux de la Waffen SS, s’exprime ainsi : « Quand l’armée régulière remplace les Waffen-SS, c’est le signe que le front va craquer[4]. » Eisenhower déclare à propos de cette bataille : « Chaque mètre de terrain perdu par l’ennemi à Caen, avait la même valeur que vingt kilomètres perdus ailleurs[5]. »
Adolf Hitler a sans doute opposé des forces plus imposantes à l’Armée Rouge pour lui interdire la route de Berlin. Mais la campagne de Normandie a clairement démontré que la valeur combattante des jeunes soldats qui s’y trouvaient mérite mieux que l’appellation : « confiée à des gamins ». L’âpreté des combats et les nombreux hommes qui ont laissé leur vie sur le sol normand en témoignent: Ce n’était pas le kindergarten![6] !
[1] Successeur de Baldur von Schirach à la tête des jeunesses hitlériennes (Hitlerjugend).
[2] Source: Bill McAndrew, Donald E. Graves, Michael Whitby, Normandie 1944 L’Été Canadien paru aux éditions Art Global.
[3] Source: Jean-Pierre Benamou,Album Memorial de La Bataille de Caen paru aux éditions Heimdal.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Garderie.
- Une dernière rose pour Isabelle - 2 mai 2013
- Les Hitlerjugend en Normandie - 20 octobre 2012
- Un Québécois à Dieppe - 15 septembre 2012