Par Sébastien Vincent
Yves Tremblay est historien à la Direction Histoire et patrimoine de la Défense nationale du Canada (DHP) et tient une chronique d’histoire militaire dans le Bulletin d’histoire politique(BHP). Il a signé en 2006 un intéressant petit livre au titre pertinent : Volontaires. Des Québécois en guerre (1939-1945). Une synthèse claire et fiable, idéale pour s’initier à un sujet complexe.
Tremblay analyse un corpus de 19 entretiens d’anciens combattants québécois ayant servi outre-mer durant la campagne de libération de l’Europe de l’Ouest, la plupart avec le régiment de Maisonneuve. Ces entrevues menées à l’aide d’un questionnaire ont été enregistrées, puis transcrites en 1995 par Patrick Capolupo, à la demande de l’historien et directeur de DHP, Serge Bernier. Leur cueillette avait pour objectif d’amasser un corpus d’histoires orales de volontaires au moment où les témoins étaient de plus en plus appelés à disparaître. L’échantillonnage comporte des soldats, des sous-officiers et des officiers.
L’intérêt de ces entretiens, comme dans tout témoignage tardif, ne réside pas dans l’exactitude des faits, mais plutôt dans les perceptions, dans les représentations que s’en donnent les témoins. Tremblay souligne avec raison les contaminations possibles du discours par l’environnement social et les effets diluants du temps qui en modèlent les pourtours, modifie les perceptions, simplifie parfois la réalité ou l’édulcore.
Ces précisions faites, Tremblay propose en introduction des distinctions importantes quant à la mobilisation pour la défense du territoire canadien, initiée en juin 1940 avec la Loi sur la mobilisation des ressources nationales (LMRN), par rapport au service outre-mer volontaire qui est resté volontaire justement jusqu’au 23 novembre 1944 (voir l’article sur ce blogue intituléConscription pour le service de défense du territoire national vs volontariat pour le service outre-mer).
Une fois qu’il a clarifié le fait que les conscrits envoyés au combat ont été largement minoritaires par rapport aux volontaires, l’historien tente une évaluation quantitative du nombre de ces volontaires : environ 130 000, dont 94 000 dans l’armée de terre.
L’analyse des entretiens déployée dans les six chapitres porte sur les motivations des volontaires, leur préparation au combat, l’expérience de la guerre en Europe, la crainte de l’ennemi et le retour à la vie civile.
Il ressort des entrevues que les volontaires se sont engagés malgré leur milieu. Les raisons qu’ils invoquent diffèrent peu de ce que l’on peut lire ailleurs : goût de l’aventure, apprentissage d’un métier, obtention d’un salaire alors que le Québec subit encore les effets de la Crise économique. Le sentiment patriotique compte très peu.
Les témoins se montrent extrêmement critiques envers leur formation militaire au Canada et en Angleterre. Ils soulignent l’incompétence de plusieurs officiers et la performance « relativement médiocre de l’Armée canadienne » en Europe de l’Ouest, face à un ennemi allemand fanatisé qu’ils redoutaient à cause de sa supériorité militaire et de ses aptitudes au combat.
Finalement, le retour à la vie civile semble s’être fait sans trop de problèmes, en dépit de l’expérience paroxystique que constitue la guerre. On est loin du personnage de Lanoue dans Les Canadiens errants qui finit dans les bras d’une prostituée…
Tout comme le chapitre portant sur la réinsertion des militaires dans la vie civile, celui traitant de la mémoire collective de la guerre au Québec apporte peu de nouveaux éléments : les témoins sont unanimes à déplorer le peu de place qu’ils y occupent. L’une des causes invoquées : la défaillance de l’enseignement de l’histoire québécoise, biaisée par son antimilitarisme. Quinze ans plus tard, on ne sait trop ce qu’en penseraient les témoins au moment où l’on s’interroge encore sur l’enseignement de l’histoire…
Les témoins en appellent à une nouvelle histoire militaire « par le bas », à hauteur d’homme. Depuis 1995, année où les entretiens ont eu lieu, l’historiographie québécoise a tendance a renversé la perspective : les engagés volontaires sont maintenant devenus objets d’histoire grâce aux travaux de quelques historiens qui évoluent souvent en marge de l’institution universitaire québécoise, laquelle a tendance à bouder l’histoire politique et militaire. Il incombe de remplir un « devoir d’histoire » à l’égard de ces engagés volontaires, « en vue d’une mémoire plus juste », conclut l’historien.
Au fil des pages, Yves Tremblay recadre les commentaires des témoins à la lumière des dernières percées historiographiques. Cela permet de les préciser et de les nuancer en leur enlevant cependant leur touche d’émotion. L’analyse est pertinente, mais il ressort de ce bref ouvrage une impression de froideur. Distance de l’historien face au témoin oblige. Ce livre, qui met en lumière les dimensions socioculturelles de la guerre, fait rare au Québec, a cependant le mérite d’être concis et rigoureux.
- Combien d’engagés volontaires francophones durant la Seconde Guerre mondiale ? - 17 janvier 2021
- Lectures d’hiver : Être soldat de Hitler, à Stalingrad ou ailleurs - 26 janvier 2020
- Le site souligne ses dix ans - 22 janvier 2020