[NDLR : Suite de La collection de militaria au Québec]

Comme il a été mentionné dans la première partie de cet article, la collection et la reconstitution militaire sont des activités sociales, récréatives et même éducatives pratiquées dans bon nombre de pays et le Québec n’y fait pas exception. Ceux qui pratiquent ces activités s’intéressent aux différentes époques militaires allant de celles des guerres napoléoniennes, et même d’avant, jusqu’aux grands conflits du siècle dernier. Comme dans tous les grands cercles publics ou privés de collectionneurs, la quête de l’authenticité est de mise et oblige à y consacrer des années de recherches ainsi que des sommes considérables pour acquérir les témoins matériels du passé. C’est grâce à ce travail que les collectionneurs et reconstituteurs sont devenus au fil des ans des auxiliaires grandement appréciés des historiens, des journalistes et des gens de l’industrie du cinéma. Malgré qu’elles suscitent généralement l’enthousiasme, ces activités sont parfois accueillies de façon mitigée et rappellent à ceux qui les pratiquent que le point de bascule entre ces deux perceptions populaires est tranchant comme le fil d’une lame de rasoir. Les exemples pour le démontrer sont multiples.

http://www.lequebecetlesguerres.org/la-collection-du-militaria-au-quebec/

Défilé d’une unité de reconstitution des Compagnies franches de la Marine

Ceux qui portent l’uniforme des Compagnies franches de la Marine, ces organisations militaires de l’époque du régime français, soulèvent majoritairement l’admiration auprès de la population du Québec lorsqu’ils paradent et font des manœuvres de tirs aux mousquets. On ne peut en dire autant envers ceux qui ont voulu tenir en 2009 une reconstitution toute spéciale dans le cadre du 250e anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham. Le cinéaste et pamphlétaire Pierre Falardeau fut à la tête d’un mouvement populaire de protestation qui fit avorter ce projet et l’éditorialiste Pierre Foglia du quotidien La Presse y alla aussi de propos très durs sur ce projet de reconstitution en affirmant que les reconstituteurs et collectionneurs militaires sont « …des pervers qui s’excitent à enfiler l’habit du zouave et qui le soir retournent sur les Plaines, cette fois déguisés en infirmière… »1. Cédant devant les pressions et les tensions exacerbées des opposants, la Commission des champs de bataille nationaux, cette agence gouvernementale canadienne qui veille à l’entretien et à l’animation du parc des champs de bataille de Québec, annula l’évènement soulevant une grogne bien sentie auprès de tous les groupes de reconstitution devant participer à cette grande fresque historique et vivante. Les plaies sont encore vives même après plus de 10 ans2.

En Europe et en France tout particulièrement, le phénomène est aussi bien connu et attire tout autant la sympathie des populations en générale que les foudres des opposants. La présence de jeeps, de reconstituteurs accoutrés en GIs et de jolies dames en robes d’époques dansant sur des airs de Glenn Miller ont tout pour plaire, même pour ceux qui sont généralement indifférents à ce genre de manifestations. À l’inverse, il en est tout autrement envers ceux qui rappellent l’époque de l’Europe soumise au joug du nazisme et à toutes les facettes de l’Occupation.

En 2006, la batterie de Crisbecq en Normandie fut le lieu d’une forte controverse alors qu’un groupe de reconstitution des forces d’occupation allemandes, se présentant sous l’appellation « Vent d’Europe », vint aménager l’un des bunkers de cette batterie sous prétexte d’assurer aux membres de ce groupe un meilleur confort lors de leurs sorties en Normandie. L’affaire fit à l’époque grands bruits auprès de toutes les communautés de collectionneurs et de reconstitutions militaires et déboucha sur des débats, parfois acrimonieux, autant chez les historiens que les autorités associatives en Europe et ailleurs dans le monde. Elle eut des échos auprès des autorités politiques et policières et attira même l’attention des médias qui y virent une nouvelle flambée de néonazisme en constatant que certains membres de ce groupe de reconstitutions étaient en fait des nostalgiques du IIIe Reich3. Tous ne figuraient pourtant pas à la même enseigne malgré le même uniforme porté mais ce sont malheureusement toutes les communautés de collectionneurs et de reconstituteurs qui furent mises à l’index. Le ver n’était plus seulement dans la pomme mais bien dans tout le panier et déboucha sur des débats aux allures de règlements de compte.

Tournage du court-métrage « Ce matin qui dura six ans » et réalisé par Éric Labelle en 2018.

La collection et la reconstitution du militaria ont donc ceci de particuliers qu’elles évoquent les victoires et défaites du passé et suscitent des réactions antagonistes allant de l’admiration aux yeux de certains, à la désapprobation aux yeux des autres. Pourtant, les appels à la didactique du musée vivant et au Devoir de Mémoire sont généralement évoqués autant chez ceux qui arborent le « kaki » que ceux qui arborent le « feldgrau ». La métaphore est inclusive et intemporelle mais encore faut-il savoir distinguer le bon grain de l’ivraie où cette didactique et ce Devoir de Mémoire, portés majoritairement par de nobles intentions et des pratiques irréprochables, côtoient parfois les écueils de l’ostentation militaire, de l’exubérance entourant les commémorations, de la vision hollywoodienne de la guerre et, dans les cas les plus sombres comme ce fut le cas avec le groupe Vent d’Europe, de la fascination pour le militarisme voire le mysticisme doctrinal et guerrier.

En résumé, on ne possède pas une jeep antique d’origine militaire comme on possède une Mustang 1967, tout comme on ne porte pas l’uniforme du soldat, aussi obsolète soit-il, comme on porte le costume du troubadour. De tous les écueils auxquels font face ceux qui s’adonnent à ces activités historico-militaires, celui de l’acceptabilité sociale se trouve finalement au centre des préoccupations et n’est acquise que par la compréhension et la résilience d’une population face à son histoire. Tous les collectionneurs et reconstituteurs sérieux le savent et intègrent dans la manifestation de leur passion une éthique assumée faite de prudence, de retenu, de mature collégialité, d’une connaissance minimale des usages militaires et enfin de sensibilité face aux susceptibilités issues de l’Histoire. Cette éthique, certes informelle, est néanmoins nécessaire et les nouveaux venus dans ces activités récréatives peu banales auraient tort de l’évacuer du revers de la main.

Sources :

1 https://www.lapresse.ca/debats/200902/20/01-829700-des-pervers.php
2 https://www.lesoleil.com/actualite/la-capitale/une-reconstitution-de-la-bataille-des-plaines-dabraham-reste-improbable-797466e57ba054e688d5808079b00bbc
3 https://saint-lo.maville.com/actu/actudet_-Des-neo-nazis-sur-un-site-du-Debarquement_-442123_actu.Htm

Guy Bordeleau
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