[NDLR : Nos coéditeurs Sébastien Vincent et Frédéric Smith sont heureux d’accueillir cette première collaboration de Martin Destroismaisons, enseignant, M.A. en Histoire et ancien étudiant de la Yad Vashem International School for Holocaust Studies.]

Très peu de périodes historiques ont été plus fouillées, analysées et commentées que celle de la Seconde Guerre mondiale. Depuis des décennies, une multitude d’historiens travaillent à en défricher la moindre parcelle. Malgré tout, des zones d’ombres subsistent. C’est à celles-ci que s’attaquèrent les auteurs des ouvrages suivants.

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Nicholas Stargardt, La Guerre allemande. Portrait d’un peuple en guerre, 1939-1945, La Librairie Vuibert, 2017.

Cet intéressant pavé de près de 800 pages est appelé à faire école car il est, selon nous, le meilleur pour expliquer pourquoi les Allemands estimaient se battre lors de la Seconde Guerre mondiale et pourquoi ils tinrent jusqu’au bout. Stargardt aborde donc les aléas de la vie allemande au cours de ce conflit en mettant en exergue la dichotomie intrinsèque des Allemands : ils furent à la fois bourreaux et victimes.

Pour écrire son livre, l’historien a consciencieusement épuré les archives allemandes, consulté les quotidiens incontournables de l’époque (Frankfurter Zeitung, Völkischer Beobachter etc.) et utilisé les journaux intimes et la correspondance d’une vingtaine d’Allemands. Ces acteurs de l’époque sont les tragédiens récurrents utilisés par Stargardt dans cette pièce dramatique que fut la guerre de 1939-1945.

Grâce à La Guerre allemande, on s’instruira sur les différentes campagnes de la Wehrmacht, sur l’état d’esprit de ses soldats et sur les crimes perpétrés par ceux-ci. Fait intéressant, on découvre qu’un grand nombre de soldats de l’Ostkrieg (guerre à l’Est) avaient intériorisé les valeurs criminelles nazies avec ses tenants et aboutissants. Tout ceci est mis en parallèle avec la vie menée par la population allemande au cours des différentes phases de la guerre. On apprendra notamment que les civils, s’ils n’en connaissaient pas tous les détails, étaient au courant du sort réservé aux Juifs. L’Holocauste devint même un sujet de conversation dès 1943.

Ce livre constitue une merveilleuse étude de ce que fut, du point de vue allemand, la dernière guerre mondiale. Plus important encore est le fait qu’il renferme une leçon de culture politique intemporelle concernant la possibilité qu’un peuple, civilisé et éduqué, puisse commettre les pires atrocités dans un terrifiant naufrage moral.

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Laurent Schang, Von Rundstedt, Perrin, 2020.

Ce livre a la distinction d’être la première biographie, en langue française, consacrée au Generalfeldmarschall Gerd von Rundstedt (1875-1953). Fruit de six ans de labeur de la part de son auteur, il aborde la vie d’un militaire qui fut l’un des plus en vue de la Wehrmacht.

Ce qui rend Von Rundstedt intéressant est qu’à travers son sujet d’étude il est possible d’appréhender trois incarnations de l’armée allemande : l’armée impériale, la Reichswehr et la Wehrmacht. En effet, le maréchal dont il est question ici eut une vie professionnelle longue et riche.

Le livre débute par la jeunesse de von Rundstedt. Né dans une famille de la vieille aristocratie prussienne payant l’impôt du sang, il était prédestiné à apprendre le métier des armes. Nous avons d’ailleurs particulièrement aimé que l’auteur se penche sur l’éducation dispensée, à l’époque, au sein d’une Kadettenschule et de la Kriegsakademie. Choisissant l’infanterie, Rundstedt gravit les échelons et servit même trois ans au Grand État-Major général.

Il est ensuite question de la Grande Guerre et du rôle qu’y tint von Rundstedt. On y voit cet officier se distinguer sur le front de l’Est. À la fin du conflit, il échappe aux coupes prescrites par le traité de Versailles et poursuit sa carrière pendant les années troubles de la république de Weimar.

La carrière de celui-ci aurait pu se terminer par sa retraite après de longues années de service si ce n’était que le nouveau maître de l’Allemagne, Adolf Hitler, requit ses services. Une bonne partie de ce livre est donc consacrée à la Seconde Guerre mondiale. On y découvre un von Rundstedt détournant le regard des exactions perpétrées par la soldatesque allemande, entérinant des ordres criminels et manquant cruellement de courage politique. Loyal et d’une rigidité toute prussienne, il se réfugiait derrière la maxime Behfel ist Behfel (un ordre est un ordre) et son serment de fidélité envers le Führer. Le livre se termine par sa captivité et son retour en liberté en Allemagne de l’Ouest.

Bien que captivant, ce livre n’est point parfait. On aurait apprécié une facture visuelle plus intéressante (le livre ne contient aucune photo). Pis, nous avons été déçus par l’absence de note de référence. En effet, les notes qui suivent le texte donnent des précisions fascinantes mais ne fournissent aucun renseignement sur la provenance des informations avancées par l’auteur !

Von Rundstedt est cependant une excellente lecture et l’on a prisé que Schang nous fasse mieux connaître la personnalité et la carrière d’un des militaires allemands les plus marquants de la première moitié du XXe siècle.

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En complément de ces deux recensions, le site Le Québec et les guerres mondiales vous offre à titre exceptionnel la recension d’un ouvrage paru en anglais.

Ben H. Shepherd, Hitler’s soldiers. The German Army in the Third Reich, Yale University Press, 2017.

Dans cet ouvrage, l’historien britannique se penche sur l’histoire de l’armée allemande au cours du IIIe Reich. Utilisant des sources primaires (dont des lettres issues de la Feldpost) et une pléthore de sources secondaires, Shepherd brosse le portrait de la Wehrmacht.

Le sujet est abordé sous quatre aspects distincts, mais complémentaires :

  1. la performance militaire de l’armée
  2. sa relation avec le régime hitlérien
  3. son rôle dans l’occupation
  4. ses crimes de guerre.

Au fil des pages, le lecteur découvrira une armée performante et les raisons de son efficience; à savoir son Auftragstaktik, l’amélioration constante de sa doctrine et de l’entraînement de ses troupes, la discipline de ses soldats et l’initiative, la flexibilité et l’agressivité de ses officiers. Heureusement, ce livre ne se transmue pas en un panégyrique de son sujet d’étude. Shepherd n’est pas avare de critiques et met l’accent sur l’inanité de la pensée stratégique de l’état-major allemand, l’incompétence crasse de la FHO (Fremde Heere Ost), les déboires logistiques de l’armée et les erreurs de moult militaires (dont Guderian et von Manstein).

L’auteur se penche ensuite sur la communauté d’intérêt existante entre l’armée et les nazis. On y dépeint la Wehrmacht comme étant l’un des piliers du régime hitlérien car « achetée » au prix de la réaffirmation de la puissance nationale et de l’adoption d’une politique expansionniste. Shepherd démontre aussi que le Führer s’est offert la complicité des militaires avec des médailles et des dons monétaires ou immobiliers.

Le lecteur appréciera aussi les explications jamais absconses de l’historien en ce qui concerne le rôle que tint cette armée lors de l’occupation et ses crimes de guerre. Il appert que l’armée allemande ne peut guère revendiquer d’avoir les mains propres. Pendant des centaines de pages, on en apprend sur le processus de brutalisation et de radicalisation des soldats allemands et on en vient à la conclusion que les nazis n’auraient pu implanter leur criminel programme sans la connivence de ceux-ci.

Ce livre foisonnant est une excellente synthèse de ce que fut la grandeur et la décadence de la Wehrmacht. Le texte est limpide, agrémenté de statistiques, de photos, d’annexes pertinentes, le tout basé sur une vaste maîtrise du sujet de la part de son auteur.

 

Martin Destroismaisons
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