Le ciel s’obscurcit au sud de Caen et au-dessus du village d’Ifs, où les Fusiliers Mont-Royal se rassemblent le matin du 20 juillet 1944, en prévision de leur prochaine attaque. Ils n’ont rien mangé depuis 17 h la veille et le déjeuner vient d’être annulé par le brigadier Hugh Andrew Young : le 2e Corps d’armée canadien veut poursuivre l’assaut dès que possible.

Les FMR retrouvent dans les tranchées leurs camarades du Black Watch, le régiment anglophone de Montréal. Les blindés du Sherbrooke Fusiliers Regiment attendent aussi non loin le signal du départ. Devant, d’immenses champs de blé et, plus loin, des bâtiments de pierre, ceux de la ferme Beauvoir. Ce sera l’un des objectifs, avec la ferme Troteval non loin. Midi passe et aucun repas n’est servi, alors que la chaleur, étouffante, augmente graduellement. 

L’artillerie entre en action peu avant 15 h. Le 4e Régiment d’artillerie moyenne, une unité canadienne-française, participe au barrage. Puis la 6e Brigade d’infanterie canadienne se lance à l’attaque. La compagnie B du major Clément Gauthier se dirige vers Beauvoir, la compagnie C du major Fernand Mousseau vers Troteval. La compagnie D, commandée par le major Jacques Dextraze, tente de pousser vers Verrières, sans succès : la crête est trop apprêment défendue par des éléments de la 272e Division d’infanterie allemande et par les terribles Panzers qui les soutiennent. Et la pluie qui se met de la partie et arrose le champ de bataille, réduisant la visibilité et entravant la communication entre les soldats.

Au cours de la bataille, le peloton des éclaireurs commandé par le lieutenant Fernand Dostie est contraint de se replier en raison du feu des chars, des mitrailleuses et des mortiers ennemis qui défendent la crête de Verrières. Les blindés allemands écrasent littéralement les soldats canadiens. Çà et là, on voit dans les champs des camarades tombés au combat. Des blessés râlent et crient de douleur. Les éclaireurs insistent auprès de leur lieutenant: il faut leur porter secours.

Sépulture du soldat Roger Gagnon des FMR, au cimetières de Bretteville-sur-Laize (Source : Frédéric Smith, 9 août 2025)

Le soldat Roger Gagnon, originaire de Hull et âgé de vingt et un ans, compte parmi ces braves hommes. Il ne mesure qu’un peu moins de 5 pieds et 4 pouces (1,61 mètre), mais compte parmi les soldats les plus costauds du peloton. À lui seul, il ramène sept ou huit blessés à travers les tirs des mitrailleuses allemandes.

Le lieutenant Dostie remarque toutefois que Gagnon a reçu une balle dans un bras et lui demande de retourner à l’arrière pour se faire soigner à son tour. Le jeune homme refuse et insiste pour poursuivre son travail, car il a vu un autre camarade en détresse. Il repart aussitôt à travers le champ de blé et parvient à ramener cet autre malheureux sur ses épaules.

Gagnon le dépose au sol, puis s’écroule à son côté: une autre balle l’a atteint sur le chemin du retour, cette fois mortellement.

Au terme de cette journée du 20 juillet, les Fusiliers Mont-Royal ont capturé 149 prisonniers, mais n’ont plus aucun signe des majors Gauthier et Mousseau et de leurs hommes.

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Cet article est un extrait légèrement remanié du livre Des Québécois en Normandie. Du jour J à la libération de Paris, publié par l’auteur aux Éditions du Boréal.

Frédéric Smith