Billet également publié dans Le Soleil du 3 novembre 2018

Il y a 75 ans, le 3 novembre 1943, Le Soleil annonçait à ses lecteurs la nomination d’une citoyenne de Québec à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, sorte de parlement de la résistance française en exil. Marthe Simard devenait ainsi la première femme parlementaire de France.
 
D’origine française, née en 1901 en Algérie, Marthe Caillaud rejoint ses parents dans le nord de la France après le décès soudain de son mari, quelque temps seulement après la naissance de leur premier enfant. C’est là, sur une plage qui borde la Manche, qu’elle fait la rencontre du médecin canadien-français André Simard, petit-fils de l’ancien premier ministre Félix-Gabriel Marchand. Elle l’épouse à Paris en juillet 1932, puis s’installe à Québec, rue D’Auteuil, avec sa fille Yahne.
 
Au printemps 1940, Marthe Simard constate, impuissante, la chute brutale de la France lorsque l’armée d’Hitler entre dans Paris. Impressionnée par l’appel de ce général inconnu, Charles de Gaulle, qui enjoint tous les Français à poursuivre le combat pour libérer leur patrie, elle fonde et préside à Québec l’un des tout premiers comités de la France libre en Amérique.
 
Composé à la fois de Français et de Canadiens français, le comité gaulliste regroupe notamment le père Georges-Henri Lévesque, le conservateur-adjoint à la Bibliothèque législative René Garneau et le professeur de littérature française Auguste Viatte. Celui-ci, d’origine suisse, animera l’aile intellectuelle du comité de Québec en compagnie de collègues professeurs à l’Université Laval comme le professeur belge Charles De Koninck et le français Thomas Delos, père dominicain.
 
De sa maison du 59 de la rue D’Auteuil puis de son bureau officiel au Palais Montcalm, offert gratuitement par le maire Lucien Borne, le couple Simard loge, nourrit et soigne plusieurs transfuges. Il accueille diverses personnalités de la France libre de passage à Québec, dont le bras droit du général de Gaulle, l’amiral Thierry d’Argenlieu. Marthe Simard obtient également une émission hebdomadaire à la radio pour y parler du mouvement France libre et dénoncer le gouvernement collaborationniste du maréchal Pétain. René Lévesque, alors jeune journaliste, est celui qui la présente chaque semaine aux auditeurs de Radio-Canada.
 
En août 1941, le comité de Québec regroupe déjà 1800 membres. Marthe Simard entreprend alors de sillonner le Canada et contribue à la création de plusieurs comités locaux de la France libre à travers le pays. Témoignage de la valeur que l’on accorde à son action, elle est choisie le 20 octobre 1943 pour représenter le Canada à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, l’organe législatif du gouvernement de la France libre. Elle sera la seule femme parmi les 84 délégués, la résistante Lucie Aubrac, enceinte, ayant dû s’y faire remplacer par son mari Raymond. 
 
Marthe Simard arrive enfin dans son pays natal début avril 1944, après un interminable périple en navire à travers les Antilles puis la traversée de l’Atlantique sous escorte militaire. Le général de Gaulle, qui s’était inquiété de son retard, la reçoit le 11 avril. Puis, invitée à prendre la parole devant l’Assemblée d’Alger, Marthe Simard livre un vibrant discours en hommage au soutien des Canadiens français à la cause du chef de la France libre. Ironiquement, elle est toujours à Alger lorsque de Gaulle se rend à Québec pour la première fois, le 12 juillet 1944. C’est plutôt André Simard qui accueillera, au nom du comité, le futur président de la République française. 
 
L’Assemblée consultative s’installe à Paris après la Libération et Marthe Simard y siège un temps. Elle refuse toutefois la carrière politique que lui propose le général de Gaulle. Elle préfère plutôt retourner à Québec auprès de son mari, de sa fille et de ses petits-enfants. 
 
Décorée de la Légion d’honneur en 1946, Marthe Simard tombe dans l’oubli puis s’éteint à Québec le 28 mars 1993. Pendant longtemps, les historiens français déploreront ne connaître que le nom de leur première femme parlementaire. Étonnamment, c’est du côté de la capitale du Québec que se trouvaient les détails de son fascinant parcours.
Frédéric Smith