Lettre à mon grand-père, Louis-Philippe Leblanc

Par Dominic Perreault
Texte inédit

Ce texte se texte se veut un hommage au grand-père de l’auteur.

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Cher grand-papa,

Je t’écris cette lettre pour te donner des nouvelles de la Normandie. Même si tu vois peut-être tout de là-haut, où tu as retrouvé ta bonne sainte Vierge, voici ce que tu aurais lu à mon retour de voyage.

Samedi le 6 juin 2009 était le 65e anniversaire du jour “J”, date à laquelle après 2 ans d’entraînement en Angleterre, tu débarquais en terre normande pour asséner le “coup du maître” aux armées du IIIe Reich. Tu es l’un des survivants de ce jour le plus long et tu as vécu une longue vie, ce malgré ta grave blessure reçue le 18 juillet suivant, dans la bataille finale pour la libération de Caen.

Donc, au jour dit, j’étais sur place pour une cérémonie organisée par le Centre Juno Beach de Courseulles-sur-Mer. C’est un lieu de mémoire et de culture sur le Canada ainsi que sa participation à la 2e guerre mondiale, situé dans le village voisin de Bernières-sur-Mer où tu as débarqué. J’étais entouré pour l’occasion de vétérans qui, comme toi, faisaient partie des troupes de libération Canadiennes. Tu me connais, tu sais quel honneur c’était pour moi de te représenter, tenant tes médailles comme gage de ta présence.

Louis-Philippe Leblanc en uniforme du 22e Régiment, quelques mois avant son transfert au régiment de la Chaudière.
Image courtoisie de M. Dominic Perreault.

Tu te souviens, toutes les fois où tu répondais à mes intarissables questions? Toutes les fois où, pour rassasier ma curiosité d’enfant, tu revivais cet enfer? Là, j’étais parmi eux, me rappelant ta souffrance et, avec la maturité que l’on gagne en vieillissant, respectant la leur. J’ai rencontré des fantassins et un marin qui a conduit le Chaudière sur les plages. Peut-être toi, qui sait? Aussi un pilote de char d’assaut et un artilleur. Leur accueil était intense et chaleureux, ce malgré le décalage des générations. Ils m’ont bien reçu parce que tu étais avec moi, mais aussi car je représentais, par ta mémoire, ceux qui sont disparus ainsi que ceux qui porteront la flamme du souvenir quand vous aurez tous pris votre repos du guerrier. J’étais si fier quand ce vétéran, M.Nelson Hilborn du Highland Light Infantry of Canada m’a dit: « your grand father was one of the Chaud’s? They were damn good guys, real tough! » Fier, mais triste aussi…Qu’est-ce que la guerre t’as fait grand-papa? Toi que j’ai connu doux et sensible. Crois moi, lorsque je me suis levé à la lecture de tes faits d’arme, j’avais le dos bien droit et ma poignée de main à Gordon Thompson, ministre des anciens combattants, était franche et fière, comme tu l’aurais voulu.

Après les cérémonies, j’ai suivi tes traces, tenté de voir de mes yeux les lieux dont tu m’avais parlé, sur lesquels j’avais lu. Bény-sur-Mer où j’ai salué la tombe de ton “chummy” Jean-Baptiste Lanteigne abattu par un SS, Colomby sur Thaon, Rots, où tu as peut-être gravé ton nom sur le mur aux Canadiens. J’ai aussi vu Carpiquet, l’enfer que tu décrivais avec les yeux dans le vague. Témoin à travers les constructions neuves, il ne reste qu’un mur de la ville où tu as combattu si âprement la 12e Hitlerjügend SS. J’ai tenté de voir avec tes yeux grand-papa, mais c’était impossible, cette époque vous appartient. J’ai vu avec les miens. J’ai vu la Normandie comme tu aurais voulu qu’elle soit. Avec ses vergers, ses pèlerins vacanciers, ses habitants bavards, décorant leurs maisons d’unifoliés.

Car ils ne t’ont pas oublié, ta mémoire est chérie et l’on m’a transmis pour toi de vibrants témoignages. Je me souviendrai longtemps de ces deux Normands me serrant la main avec les larmes aux yeux, des gens de ma génération à part ça. Tu vis encore sur cette terre de France et les habitants te sont reconnaissants, 65 ans plus tard. Il y en aurait des pages à dire encore, mais comme je repars pour le Québec bientôt, je vais en rester là. Je veux néanmoins te dire que je n’ai jamais cesser de croire à mon héros d’enfance, ce malgré ton absence et mes 36 ans.

Je te confie ceci en terminant: le seul irritant dans ces cérémonies était le retard de 35 minutes de notre Premier Ministre Stephen Harper. À voir tous ces vénérables guerriers de 85 à 93 ans attendre sous la froide pluie normande leur hommage, je n’étais pas fier. T’ayant connu comme un “rouge” ma foi assez foncé, je me suis dit que ce n’est pas là que tu aurais viré “bleu”. Ha!Ha!Ha!

Voilà, je t’en dirai plus dans ma prochaine lettre, mais en attendant je salue avec tendresse ta douce, ma belle grand-maman qui à travers tes blessures, autant celle physiques que morales, a elle aussi souffert de la guerre. Par chance elle est encore là pour nous empêcher de faire trop de bêtises!

Je t’aime et ne t’oublie pas, “lest we forget”. Respectueusement, ton petit-fils Dominic.

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L’un des objectifs de ce site étant de promouvoir la mémoire des militaires canadiens-français, il est possible aux lecteurs qui le désirent de rédiger un hommage à un vétéran. Sous réserve, le site Le Québec et les guerres mondiales pourra ensuite le publier. Pour toute information, contactez Sébastien Vincent (svincent16@hotmail.com).