Selon France24 et AFP

Près de 70 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’examen de conscience des entreprises allemandes sur les années noires du nazisme est loin d’être terminé et reste un exercice parfois controversé, voire douloureux.

Près de 70 ans après la fin de la deuxième Guerre mondiale, l’examen de conscience des entreprises allemandes sur les années noires du nazisme est loin d’être terminé et reste un exercice parfois controversé, voire douloureux.

Dernier exemple, Dr. Oetker, célèbre fabricant de pizzas surgelées et de crèmes dessert, a présenté la semaine dernière les recherches de trois historiens sur l’attitude de l’entreprise et de ses dirigeants sous le nazisme.

« Il n’y avait pas l’épaisseur d’une feuille de papier cigarette entre Oetker et le régime » hitlérien, a résumé Andreas Wirsching, historien de l’Université de Munich (sud) et co-auteur du livre « Dr. Oetker et le national-socialisme, histoire d’une entreprise familiale ».

L’ouvrage jette une lumière crue sur les avantages obtenus par le Pdg d’alors, Richard Kaselowsky, et le clan familial – aujourd’hui à la tête de la 8e fortune allemande (7,5 milliards d’euros) – grâce à sa très grande proximité avec le régime hitlérien, comme par exemple l’achat de la villa du directeur juif de l’entreprise de tabac Reemstma, spolié de ses biens.

Richard Kaselowsky n’a jamais caché ses convictions et son amitié personnelle avec le chef des SS Heinrich Himmler. Et l’engagement volontaire dans la Waffen-SS de son beau-fils, Richard-August Oetker, qui lui a succédé en 1944, était un secret de Polichinelle.

« En tant que famille, nous devons accepter que les personnes responsables à l’époque ont approuvé et soutenu ce système », a confié Richard Oetker, l’actuel Pdg du groupe et fils de Richard-August, lors de la présentation.

Un repentir tardif des Oetker – après la plupart des principaux groupes industriels allemands au cours des 25 dernières années -, car il a fallu attendre le décès du patriarche, en 2007, à 89 ans.

« Il a toujours dit: pas de mon vivant. Après d’accord », a confié Richard Oetker à l’hebdomadaire Die Zeit.

C’est le discours du Président allemand Richard von Weizsäcker le 8 mai 1985 qui a lancé le mouvement, a expliqué à l’AFP Manfred Grieger, de l’Université de Göttingen.

Le président, fils de dignitaire nazi, avait assimilé la capitulation allemande à une « libération » du peuple allemand de la barbarie nazie.

« Avant ce discours, le +miracle économique+ empêchait toute remise en question », a ajouté l’historien, qui a travaillé avec le constructeur automobile Volkswagen sur la question des travailleurs forcés.

L’arrivée d’une nouvelle génération, plus critique que ses aînés sur le passé de l’Allemagne, qui restait pour elle « une blessure ouverte » parce que la dénazification avait été « bâclée », explique aussi cette tendance, a poursuivi l’historien.

La très puissante et très conservatrice industrie allemande a renâclé face à cette remise en question.

Certaines des premières « études » ressemblaient davantage à des « brochures publicitaires », a estimé M. Grieger.

En 1987, un ouvrage publié pour le centenaire de Daimler-Benz avait ainsi provoqué une polémique, un groupe de chercheurs de la Fondation pour l’histoire sociale de Hambourg, le jugeant bien trop indulgent envers l’entreprise.

Mais la pression de la société a fini par l’emporter.

Allianz, Deutsche Bank, Krupp, Siemens… Au fil des « confessions » s’est précisé l’éventail des collaborations économiques plus ou moins actives: participation à l’effort de guerre nazi, recours au travail forcé, spoliation des biens juifs…

Même les plus réticents ont cédé. La famille Quandt, actionnaire principale de BMW, a ainsi autorisé en 2011, la parution de « L’ascension des Quandt », un pavé sans concession de l’historien Joachim Schlotysek.

Ce dernier montrait comment Günther Quandt avait exploité, parfois jusqu’à la mort, 50.000 travailleurs forcés, pour armer et équiper les troupes hitlériennes, s’enrichissant considérablement au passage, grâce aux spoliations des juifs.

Mais les Quandt avaient été contraints de commander cette étude après la diffusion d’un documentaire en 2007, « Le silence des Quandt », évoquant notamment le rôle de Magda, d’abord mariée à Günther, avant d’épouser le ministre de la propagande d’Hitler, Joseph Goebbels, et de jouer les entremetteuses à son profit.

Aujourd’hui, « les entreprises sont devenues plus ouvertes sur leur propre histoire. », a jugé Mark Spoerer, de l’Université de Ratisbonne, cité dans le quotidien économique Handelsblatt.

Les grands entreprises n’ayant pas fait ce travail de mémoire sont minoritaires, mais pour Manfred Grieger le sujet est loin d’être épuisé.

« Je ne vois pas la pression de la société se réduire, je pense que les attentes sont encore élevées », estime-t-il.

La très riche et très secrète famille Brenninkmeijer, propriétaire du groupe de textile C&A, devrait être l’une des prochaines à se livrer à l’exercice, a révélé l’historien Mark Spoerer au Handelsblatt. Son travail devrait être rendu public dans 2 ans.