Le Québec est en état d’alerte sanitaire depuis maintenant deux semaines et chaque jour apporte de nouvelles mesures de confinement afin de faire face à la pandémie de la COVID-19. Cet effort collectif est inédit pour la plupart d’entre nous. Mais les plus anciens se souviennent d’une autre grande mobilisation, lancée il y a plus de 80 ans dans le dessein ultime de contrer un ennemi d’une tout autre nature : l’Allemagne nazie.

À la fin de 1941, la plupart des Canadiens croient qu’ils participent à la guerre totale. Malgré l’expérience de la Grande Guerre, jamais n’aurait-on pu imaginer autant de directives, de règlements et de rationnements. La consommation de charbon est notamment restreinte, bien qu’elle fasse l’objet d’un vaste trafic illégal. Les régions rurales, peu électrifiées, en dépendent.

Se procurer vêtements et chaussures devient difficile. À l’automne 1940, la production de 80% des filatures de laine et de 75% des manufactures de chaussures est destinée aux militaires. Ces entreprises peinent à retenir ou à recruter la main-d’œuvre, les industries de guerre offrant de meilleurs salaires.

 

Un formidable effort collectif

L’effort de guerre requis des citoyens canadiens peut être difficilement ignoré. Au détour des rues, des panneaux-réclames annoncent le lancement des campagnes de Bons de la Victoire. Tous les six mois environ, le gouvernement lance une campagne intensive afin de convaincre la population d’y souscrire et pour l’encourager à atteindre des objectifs fixés.

De nombreux Canadiens, particulièrement les employés de grandes sociétés, acceptent le prélèvement sur leur salaire d’une somme, habituellement répartie sur 6 mois, qui permettra l’achat d’au moins un bon de 50 $ à chaque nouvelle émission.

À l’automne de 1941, quelque 10 000 entreprises ont adopté cette méthode. La pression est très forte sur les employés de ces entreprises, souvent contraints d’assister à des allocutions offertes par des volontaires et rédigées par le Comité des Finances en temps de guerre ou par les autorités.

Des formulaires d’achat sont ensuite distribués parmi les employés. La liste des acheteurs ou de ceux qui participent au programme de prélèvement est souvent affichée dans les aires communes, augmentant du coup la pression sur les employés qui ne participent pas à l’effort. Dans les entreprises du Canada anglais, 97% des travailleurs participent au programme de prélèvement automatique. Au Québec, ils sont 93,4%.

 

La peur pour argument

La peur demeure un excellent argument de vente et de sensibilisation pour les autorités canadiennes. Partout au pays, des invasions ennemies sont simulées avec l’aide de troupes à l’entraînement dans les bases locales.

On procède également à des simulations de raid aérien et à des exercices de black-out. Un tel black-out survient à Ottawa en juin 1941 : 60 000 personnes sont privées d’électricité sur un périmètre de 40 km2.

Les enfants sont également mis à contribution. Dans les écoles, on les invite à recueillir des bouteilles et des boîtes de conserve. Impensable aujourd’hui, leur propre contribution financière est sollicitée à travers l’achat des timbres d’épargne de guerre.

Ils ne sont pas non plus épargnés par la propagande gouvernementale : des bandes dessinées rédigées au Canada à leur intention mettent en scène un ennemi cruel et fanatique. Des romans au message à peine plus subtil sont également publiés et destinés à leurs parents.

 

L’apport de la radio

Dès le début du conflit, la radio se révèle aussi un formidable outil de propagande. Inconnue pendant la Grande Guerre, elle offre un parfum d’immédiat et d’authenticité aux nouvelles de la guerre. Au réseau anglais de la CBC, Lorne Green lit les actualités de dix heures et se voit rapidement attribuer le surnom de « Voix du Destin ».

Au Canada français, le journaliste Louis Francoeur gagne rapidement en réputation. Depuis le 25 juin 1940, il anime une émission quotidienne d’un quart d’heure, diffusée en soirée à Radio-Canada et intitulée « La Situation ce soir ». Il y défend les politiques du gouvernement libéral et encourage ses auditeurs à contribuer à l’effort de guerre. Un accident d’automobile l’emportera toutefois le 1er juin 1941.

En respectant les directives, les règlements et les rationnements, et en participant aux campagnes des Bons de la Victoire, les Canadiens ont l’impression de participer à la lutte dès le début du conflit. Cette impression demeure vive lorsqu’ils observent les Américains au sud, toujours officiellement neutre dans le conflit (l’étendue de la contribution américaine en matériel de guerre n’est pas encore connue du public). Les choses n’évolueront de ce côté qu’à partir de l’attaque des Japonais sur Pearl Harbor, en décembre 1941.

 

Pour en savoir plus

KESHEN, Jeffrey A. Saints, Salauds et Soldats. Le Canada et la Deuxième Guerre mondiale, traduit de l’anglais par Pierre R. Desrosiers, Outremont, Athéna Éditions, « coll. Histoire militaire », 2009, 425 p.

Frédéric Smith