Pierre Vennat
Journaliste-historien
NDLR : Ce texte paru le 26 novembre 2011 est republié à l’occasion du centième anniversaire de soeur Agnès, le 6 juillet 2014.
Tous ceux qui sont pour le moins familiers avec l’histoire du raid de Dieppe d’août 1942 et surtout ceux qui ont eu la chance de participer sur place aux commémorations du raid connaissent au moins de réputation Sœur Agnès Valois, l’infirmière héroïque qui, il a près de 70 ans, sauva la vie de tellement des nôtres qui avaient été cruellement blessés ce jour-là par la mitraille allemande.
Née le 30 juin 1914, dans la région de Rouen, Agnès Valois, pour obéir à ses parents qui la poussaient aux études et parce qu’elle a toujours voulu soigner les malades, suivit une formation à la Croix-Rouge. Elle entra ensuite à l’Hôtel-Dieu de Rouen avant de se joindre les Augustines de la Miséricorde à Dieppe.
Sœur Agnès n’était pas à Dieppe au moment du raid. Elle était de service à l’Hôtel-Dieu de Rouen. Elle et ses consoeurs infirmières diplômées avaient toutes été réquisitionnées par les Allemands pour traiter les plus grands blessés.
Une soixantaine de blessés arrivèrent dans la nuit du 20 au 21 août 1942. Beaucoup sont décédés peu après leur arrivée. Les autres étaient vraiment de très grands blessés qui étaient demeurés sans soins pratiquement durant presque 24 heures sur la plage. Sœur Agnès, 65 ans après les événements, raconta qu’elle se souvenait des premiers mots de plusieurs blessés au lorsque les sœurs ont ouvert les portes des camions qui les transportaient : « Oh, des sœurs comme au Québec »…
Pourtant, un major allemand plus zélé que les autres les avait mises à la porte de l’hôpital parce qu’elles étaient Françaises. Elles auraient pu fraterniser avec les prisonniers blessés. Mais il ne fallut pas longtemps pour que les chirurgiens allemands réalisent que face à tant de grands blessés, ils n’y arriveraient pas seuls et ils sont revenus les chercher pour les assister.
Entre le soin des fractures et les amputations nécessaires à la suite de la gangrène, les infirmières ont tout donné pour sauver des vies.
En 2010, sœur Agnès se souvenait encore d’un grand blessé qui lui demanda de bien vouloir l’embrasser comme sa mère le ferait. Il allait mourir. Elle s’exécuta, il ferma les yeux et s’endormit pour toujours.
Plusieurs connaissaient ses faits d’armes, mais peu sont au courant de sa relation étrange avec le sergent André Michaud des Fusiliers Mont-Royal. Celui-ci, gravement blessé, dut se faire amputer un bras. « Alors que je le préparais pour son amputation, André Michaud, alors jeune sergent des Fusiliers Mont-Royal, me demanda ce qu’il allait arriver à son bras. Je lui répondis de ne pas s’en faire, que j’allais en prendre soin moi-même. Aussitôt que je puis prendre du repos, je pris sur moi d’aller ramasser dans le contenant le bras du sergent Michaud, je descendis dans le jardin et avec une pelle, je l’enterrai à l’ombre d’un arbre. »
Le 23 novembre 1943, Michaud arriva à Montréal, via Halifax. Il avait été échangé avec une trentaine d’autres prisonniers ayant participé au raid de Dieppe contre des prisonniers allemands blessés.
À son arrivée, Michaud, alors fort disert, a déclaré que si, parce que grands blessés, peu d’entre eux avaient personnellement été enchaînés comme cela fut le cas pour des centaines de prisonniers de Dieppe, par ailleurs, les aviateurs canadiens et britanniques l’avaient été pendant six mois à la suite du raid de Hambourg et selon lui, la situation aurait été intenable dans certains camps d’internement, n’eût été l’aide apportée par la Croix-Rouge. Michaud en profita pour faire l’éloge des soins médicaux qu’il avait reçus d’officiers médicaux britanniques, faits prisonniers en Crête, Afrique ou en Italie.
J’ai eu la chance de revoir à quelques reprises et André Michaud, qui pendant plusieurs années a été porte-parole des Amputés de guerre au Québec tandis qu’à Dieppe, j’ai eu l’honneur en 1997 d’être invité d’honneur à un souper donné par le ministre d’alors des anciens combattants au Casino de Dieppe, en compagnie de Sœur Agnès et de Mme Lucie Ménard, fille du brigadier général Dollard Ménard qui commandait les Fusiliers Mont-Royal lors du raid de 1942.
Et en 2002, invité à un concert rock donné par un ensemble acadien venant de Dieppe au Nouveau-Brunswick, j’avais, à ses côtés, assisté à ce qui était pour elle, à 82 ans, son premier concert « rock ».
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