Texte inédit
Le capitaine Guy d’Artois était si discret qu’il fallait insister pour qu’il raconte ses exploits. Et encore, il n’a jamais dit un mot sur les escarmouches et les combats qu’il a menés ainsi que sur les privations et les dangers qu’il a courus avec une poignée de braves dont certains furent tués. Il ne parla même pas lui-même de sa femme, la lieutenant-parachutiste Sonia Butt, dont on parlera dans une autre chronique.
Guy d’Artois quitta l’Angleterre en mai 1944 avec quatre de ses camarades pour être parachuté au-dessus du département de Saône-et-Loire avec pour mission d’unifier les divers éléments du maquis et de les former en un mouvement véritablement efficace et de saper les communications terrestres, par eau et par fil de l’ennemi.
Première surprise : « Si tous les Français, du moins la majorité, visaient à la libération du pays, tous n’employaient pas les mêmes moyens et n’obéissaient pas aux mêmes chefs. Nous avions donc plusieurs catégories de partisans qui tous arboraient le titre de maquisards, mais qui n’avaient pas, du moins à mon sens, droit au même degré », raconta-t-il plus tard.
« La première faction, les Miliciens, étant entièrement favorable aux Allemands, non contente de ne pas nous aider, recourait souvent à la délation pour se débarrasser de nous. Le second groupe, les G.M.R. (Groupes Militaires de Réserve), créés par le gouvernement de Vichy qui travaillaient quelques fois avec nous, quelques fois aussi avec les Allemands. Nous avions aussi les F.T.P.F (Francs-Tireurs et Partisans Français), le S.O.L. (Service d’Ordre des Légionnaires), et nombre de groupes isolés, qui voulaient tous l’unité des maquisards, mais à la condition que le commandement leur revienne. Il s’agissait donc de réunir ces divers éléments et de former une armée, sinon unie, c’était presque impensable, du moins travaillant en étroite collaboration ».
Guy d’Artois en prit son parti et se jeta à corps perdu dans l’organisation. Il la divisa, comme toute armée, en plusieurs section et divisions.
D’abord les combattants. Ceux-ci, au nombre de 3 000, furent divisés en sections de 1 000 hommes chacune, avec leurs officiers, sous-officiers et soldats. Ces combattants étaient munis de plusieurs véhicules, de dynamite et munitions en quantité. Puis il se dota d’un service de renseignement. Pour ce travail, il employa de préférence des femmes qui y excellaient. Il en employa une cinquantaine qui déployèrent une activité telle que les Allemands ne pouvaient bouger sans que lui et ses troupes en fussent prévenus.
Peu à peu les coups de main devinrent de plus en plus nombreux et audacieux et les troupes de d’Artois dominèrent littéralement la région. À plusieurs reprises, des forces ennemies furent envoyées pour les déloger, mais sans succès. D’autant que le pays, très accidenté, ne permettait pas aux Allemands d’y employer des chars d’assaut. De plus, l’ennemi ne pouvait y déployer son artillerie.
Le groupe fit également sauter des ponts et des chemins de fer. En août 1944, par exemple, on détruisit une locomotive et fit prisonnier l’équipage d’un train qui avait été chargé de libérer la voie. La carcasse de la locomotive bloqua la voie et empêcha tout déplacement des Allemands par rail jusqu’à l’arrivée des Alliés dans la région, le 17 septembre.
Le principal exploit de Guy d’Artois fut cependant de réussir à créer son propre réseau téléphonique. Pour maintenir leurs lignes téléphoniques et télégraphiques, les Allemands employaient le service français des P.T.T. (Postes, Téléphone et Télégraphe). Bien que surveillés par un inspecteur allemand, ces Français prévenaient d’Artois qu’un fil était réparé à tel endroit et aussitôt les maquisards en coupaient un autre tout près. Le jeu dura jusqu’à ce que les Allemands abandonnent la partie et n’utilisent que la radio pour communiquer entre eux.
Mais les Allemands ne désiraient pas laisser les communications aux mains des maquisards et chaque jour ils allaient s’assurer que celles-ci n’avaient pas été rétablies. D’Artois trouva la solution : il laissa traîner des fils sur le sol mais raccorda le courant sous terre. On s’empara alors de standards (« switchboards ») lors de quelques coups de mains et on les établit dans les bois, les caves, les greniers et les cuisines. Le réseau fonctionna ensuite sur 700 kilomètres en employant le nom de municipalités québécoises, ce qui fait que les Allemands ne réussirent jamais à trouver leur localisation.
« Une inspection du bureau du S.O.E. à Londres révéla qu’à un certain moment, mon réseau de téléphone était le seul qui fonctionnait en France », déclara-t-il plus tard.
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