Les soldats de l’ombre

Pierre Vennat
Journaliste-historien

 

Les quelques militaires canadiens sur le sol de France lors de la fin de la « Drôle de guerre » la quittèrent à la mi-juin 1940, lorsque l’armée française décida de capituler.

Il fallut attendre août 1942 pour qu’un assaut fut tenté à Dieppe et que plus de 4 000 des nôtres débarquent à nouveau sur le sol français. Après l’échec de ce raid, ce n’est que le 6 juin 1944 qu’une division canadienne mit le pied sur le sol français.

Mais certains militaires canadiens-français avaient commencé à lutter sur le sol français bien avant le Jour J. Envoyés en France plusieurs mois avant le jour de l’invasion pour servir en qualité d’instructeurs et d’aviseurs militaires auprès de la Résistance, ils avaient pratiquement tous été descendus en parachute de nuit dans diverses parties de la France.

Le prix payé donne une idée des dangers encourus par ces hommes. En effet, des quelque 60 à 70 Canadiens qui ont volontairement accepté cette mission, seulement 18 auraient survécu. La plupart, sinon tous, ont été décorés par la France reconnaissante de la Croix de Guerre avec palme et de la Médaille de la Résistance.

Durant les prochaines semaines, nous allons publier le portrait de quelques-uns d’entre eux, sous le titre Les Soldats de l’ombre, qui coiffait le chapitre que je leur avais consacré, en 1998, dans le troisième tome de mes Héros oubliés, publié aux Éditions du Méridien. Ce sont ces textes, résumés et enrichis de quelques nouvelles données qui formeront l’essentiel de ces chroniques.

Comment devient-on un agent secret?

 « En étant un peu fou, parce que c’est un moyen très sûr de se suicider, avait répondu Lucien Dumais, un des plus connus d’entre eux,  à un journaliste de La Presse en 1991.

Quant à Gabriel Chartrand, lui aussi un héros de l’ombre et frère du coloré syndicaliste Michel Chartrand, « dans l’armée, quand on veut vous envoyer quelque part, il vaut mieux dire oui parce que, par la suite, si vous dites non, ils peuvent vous envoyer dans un endroit pire encore ».

Le major Paul-E. Labelle

 J’ai eu le privilège, il y a une vingtaine d’années, de voyager en Normandie aux côtés du major Paul-Émile Labelle, un des survivants de ces parachutistes survivants d’actions derrière les lignes.

Jeune lieutenant du Régiment de Maisonneuve, Labelle avait rejoint ce régiment en Angleterre en septembre 1942 mais par après on le transféra au Royal 22e Régiment et en 1943, il participa avec ce régiment à toutes les batailles importantes de la campagne d’Italie.

Puis, en avril 1944, on l’envoya en Afrique du Nord où on le prépara à une mission extrêmement  périlleuse alors que, promu capitaine entre-temps, on le parachuta dans le Vaucluse. Seul Canadien dans ce secteur, Labelle avait été nommé commandant adjoint de l’état-major départemental des Forces Françaises de l’Intérieur de la région et représentant des gouvernements américain et britannique auprès de la Résistance française.

Chef de mission, il dirigea trois officiers français, instructeurs en méthodes de stratégies et préparation des armes et organisa des équipes de combat en petits groupes destinés à harceler l’ennemi sans répit et de mille manières, dans toute la région de Vaucluse. Conseiller militaire, Labelle devait adresser lui-même les demandes d’armes et de munitions à Alger qui les expédiait par avion, souvent quatre ou cinq avions à la fois.

Après la libération de la France, Labelle, qui avait été promu major le 20 août 1944, fut cité à l’ordre de l’armée française, avec la citation suivante : « Officier supérieur de valeur exceptionnelle. Parachuté en territoire occupé par l’ennemi comme membre d’une mission interalliée, a pris immédiatement par sa bravoure, son sang-froid et son énergie, un ascendant considérable sur les hommes. S’est particulièrement distingué au cours des combats du 8 au 31 août 1944, où, combattant dans les rangs du maquis du Ventoux, il a puissamment contribué à briser une forte attaque allemande dans la région du Sault-Javon. Depuis le 20 août, a assuré dans des conditions particulièrement difficiles la liaison avec les forces alliées, faisant sans cesse l’admiration de tous par son calme et son courage.  »

En plus de ses décorations françaises, le major Labelle reçut la Croix Militaire (Military Cross) de la part des autorités britanniques et canadiennes.

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Pierre Vennat