Par Frédéric Smith
Texte inédit
Le 2 novembre 1943, le comité France Libre de Québec apprenait la nomination de sa présidente-fondatrice à titre de membre de l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, mise sur pied par le Comité français de la Libération nationale.
Marthe Simard devenait la première femme parlementaire de France, et ce, quelques mois avant que l’éligibilité des femmes ne soit légalement reconnue en France. Complètement oubliée tant en France qu’au Canada, le parcours de Marthe Simard et les circonstances de sa nomination méritent d’être rappelés.
Née de parents français le 6 avril 1901 à Bordj-Menaïel en Algérie, Marthe Caillaud se marie à l’âge de 19 ans puis devient rapidement veuve, peu de temps après la naissance d’une petite fille à Tunis. Elle se réfugie chez ses parents à Douai, en France, où son père Édouard Caillaud a été nommé juge d’instruction. Les années ont passé lorsqu’elle rencontre le Dr André Simard à Berck, dans le Pas-de-Calais.
Canadien français de Québec venu se spécialiser dans le traitement de la tuberculose osseuse, André Simard est le petit-fils de l’ancien premier ministre du Québec Félix-Gabriel Marchand et l’une de ses tantes, Joséphine, est l’épouse du sénateur Raoul Dandurand. Reparti à Québec au chevet de son père malade, André Simard revient toutefois à Paris en juin 1932 pour épouser la jeune veuve. Marthe Caillaud, devenue Marthe Simard, s’installe à Québec le mois suivant avec sa fille.
La guerre éclate en septembre 1939. Alors que les sociétés permanentes d’entraide comme la Croix Rouge, le Y.M.C.A. et l’Armée du Salut agrandissent leurs cadres, de nouvelles organisations charitables voient le jour afin d’assister de façon efficace les soldats du front.
L’une de ces organisations, le comité de l’Aide canadien aux poilus et aux combattants de langue française, est fondée par Marthe Simard. Ce comité, qui prendra plus tard le nom de L’Entraide aux combattants de langue française, groupe toutes les femmes canadiennes qui désirent soutenir le moral des soldats canadiens français et français en service actif, notamment par l’envoi régulier de colis contenant des lainages, des objets de toilette, des friandises et parfois de petites sommes d’argent.
Les Allemands entrent dans Paris le 14 juin 1940 et défilent sur l’avenue des Champs-Élysées. Le 17 juin, le maréchal Pétain lance un appel à cesser le combat. La France capitule. Refusant la défaite, le général Charles de Gaulle part pour Londres le jour même pour poursuivre le combat. Le 18 juin au soir, sur les ondes de la BBC, le général de Gaulle lance son Appel aux Français et signe l’acte de naissance de la Résistance française.
De Gaulle répètera son appel les 19 et 22 juin. À Québec, dans sa maison du 59 de la rue d’Auteuil, le couple Simard reçoit des amis et entend l’un de ces appels. Marthe Simard suggère spontanément la fondation d’un comité de la France Libre afin de contrer la propagande vichyste et d’aider les exilés français. Assumant la présidence du comité, elle poursuit l’envoi de vivres et de médicaments et visite les communautés françaises partout au Canada afin d’y créer de nouveaux comités de la France Libre.

En 2008, la Ville de Québec dévoilait une plaque au 59 de la rue D’Auteuil dans le Vieux-Québec, en hommage à Marthe Simard et à son action. Photo : Paul Dionne
De 1941 à 1944, CBV Radio-Canada consacre du temps d’antenne de façon régulière à Marthe Simard et aux représentants du comité France Libre de Québec. Simard y croise le jeune René Lévesque, à l’orée de sa carrière journalistique. Celui-ci évoquera cette rencontre dans son Attendez que je me rappelle…dont une copie dédicacée trônera dans la bibliothèque de Marthe Simard, quarante-cinq ans plus tard. La dédicace se lit ainsi : « À Marthe Simard, avec le souvenir très amical d’un ancien jeune présentateur et gaulliste québécois! René Lévesque »
Le 17 septembre 1943, le Comité Français de la Libération Nationale (CFLN), né en juin de la fusion du Comité national français de Londres (dirigé par le général de Gaulle) et du Commandement civil et militaire d’Alger (dirigé par le général Giraud), décrète l’organisation d’une Assemblée consultative provisoire qui représentera les mouvements résistants, les partis politiques et les territoires engagés dans la guerre au côté des Alliés. Quatre des 84 sièges seront réservés aux 800 comités internationaux de la France Libre (devenue France Combattante en juillet 1942).
L’un de ces quatre représentants proviendra du Canada, là où l’on trouve la plus forte concentration de Français en dehors de France. Alger demande aux 85 comités et sous-comités canadiens de la France Combattante de procéder à des élections. Devant l’ampleur de la tâche – une forte proportion de la population d’origine française est disséminée dans les régions rurales, notamment dans les Prairies – les comités réunis en congrès décident de s’en remettre au jugement du commandant Gabriel Bonneau, délégué officiel du Comité Français de la Libération Nationale à Ottawa.
Ils insistent toutefois pour que le choix d’un délégué soit limité aux membres des comités de France Combattante connus pour avoir adopté une attitude anti-collaborationniste sans réserve depuis l’armistice de juin 1940.
Estimant toutefois ne pas pouvoir, sans leur collaboration et leur aide, prendre une pareille décision sans courir le risque de paraître contraire à l’esprit des institutions démocratiques recréé par la résistance française, Bonneau insiste pour que chaque comité propose le candidat qu’il jugerait le plus digne d’être élu, en exposant en détail ses titres. Les quelques noms ayant reçu le plus de suffrages sont ensuite transmis aux délégués de la résistance intérieure à Alger.
Le 20 octobre 1943, Marthe Simard est officiellement déléguée à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, par décision unanime. Cette décision arrive à Québec au début du mois de novembre.
Marthe Simard est la première et seule femme, parmi les 84 membres, à siéger à cette Assemblée du parlement français en exil et devient par le fait même la première femme française à siéger dans une assemblée parlementaire.
Les 4 et 5 novembre 1943, la plupart des grands journaux québécois reprennent la nouvelle de la nomination de Marthe Simard à titre de déléguée de la Résistance extérieure à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger. Le Devoir du 5 novembre, notamment, rapporte les « commentaires animés parmi les membres de l’assemblée » à Ottawa. La nomination de cette citoyenne canadienne d’origine française « paraît significative de l’importance attachée à l’amitié franco-canadienne et au travail admirable des femmes françaises que Mme Simard représente.»
L’enthousiasme suscité à Ottawa et dans les journaux n’est toutefois pas partagé par les Français de Montréal. Décriant le fait qu’ils n’aient pas été consultés par Alger, les présidents des principales associations françaises de Montréal publient le 29 décembre 1943 une lettre de protestation dans le quotidien La Patrie. Ils fondent leur récrimination sur un malentendu causé par ce même journal lorsqu’il annonce, le 23 décembre, que Marthe Simard « a été désignée par ses compatriotes établis au Canada pour les représenter au Comité à Alger ».
Dans leur lettre, les présidents affirment que « Les Associations françaises de Montréal, dont les soussignés sont les présidents et qui groupent autour d’elles la grande majorité des Français établis au Canada n’ont jamais été consultées quant au choix d’un représentant pour le Canada au Comité Consultatif d’Alger ». La controverse aura des répercussions jusqu’à New York, où l’hebdomadaire Pour la Victoire, ouvertement giraudiste, s’empare de l’histoire.
Le comité France Libre de Québec réplique. Pierre Chaloult et Camille Pacreau, respectivement vice-président et trésorier du comité, font parvenir une lettre pour publication à La Patrie afin de répondre aux accusations des Français de Montréal. Essuyant un refus non motivé, Chaloult et Pacreau font publier leur lettre le 19 janvier dans Le Canada, journal concurrent de La Patrie.
Ils y rappellent que les associations françaises de Montréal ne regroupent qu’environ 400 membres, tandis que les 85 comités et sous-comités français libres au Canada en regroupent plus de 8 800. Chaloult et Pacreau mentionnent également que, s’il est vrai que les signataires de la lettre du 29 décembre n’ont pas été consultés : « ils n’avaient pas à l’être de par les ordres du Comité de la Libération auquel ils se sont tous ralliés le 19 juin dernier. Le statut de la Commission Consultative d’Alger ne prétend pas en faire un parlement français mais une délégation de la Résistance intérieure française, laquelle a décidé de s’adjoindre quatre représentants de la RESISTANCE extérieure qu’elle choisirait sur les candidats qui lui seraient soumis par les 800 et quelques Comités français libres existant à l’étranger ». Ces faits avaient d’ailleurs été rapportés par la presse en novembre.
Dans la même édition du journal Le Canada, Gabriel Bonneau, délégué officiel du Comité Français de la Libération Nationale à Ottawa, reprend à son compte et avec force l’ensemble des arguments présentés par le comité de Québec dans une entrevue accordée au journaliste Fernand Lacroix. Dès lors, les relations entre les représentants du général de Gaulle et les Français de Montréal, déjà refroidies par des années de querelles internes chez ces derniers, deviendront quasi inexistantes.
Marthe Simard n’assiste que de très loin à cet autre épisode de la rivalité Québec-Montréal. Partie de Québec pour Alger à la mi-janvier, elle gagne d’abord la Louisiane où elle prend un navire de guerre qui doit la transporter en Afrique du Nord. Le navire, partit avec plusieurs jours de retard, se dirige d’abord vers les Antilles, où il se voit contraint de séjourner pendant cinq semaines, en Guadeloupe, en Martinique et à Haïti. Marthe Simard en profite pour donner une série de conférences sur la Résistance. Le navire quitte enfin les Antilles en convoi, de nuit, pour traverser l’Atlantique. Plusieurs bateaux du convoi sont coulés par les Allemands. Marthe Simard débarque finalement à Casablanca début avril, où elle prend l’avion pour Alger.
Accueillie dans la capitale française de l’Afrique du Nord par des membres de la Légation canadienne et le président de l’Assemblée, Marthe Simard rencontre pour la première fois le général de Gaulle le 11 avril 1944, puis prend la parole devant l’Assemblée consultative le 19 avril puis le 15 mai pour y présenter le rôle joué par le Canada dans la Résistance et réclamer que soit faite une plus large place aux femmes dans les délibérations politiques. Le 21 avril, le général de Gaulle signe l’ordonnance donnant le droit de vote et l’éligibilité aux femmes.
Marthe Simard rentre au pays le 22 août 1944. À sa descente d’avion, à Dorval, Marthe Simard déclare que la chute de Paris aux mains des alliés n’est plus qu’une question d’heures. Elle ne croit pas si bien dire. Le 24 au soir, une immense foule est réunie à Québec sur la terrasse Dufferin pour fêter la Libération, avec le concours de la fanfare du Royal 22e Régiment dirigée par le lieutenant Edwin Bélanger. Marthe Simard y prend la parole, ainsi que Pierre Moeneclaey, nouveau consul général de France à Québec et Montréal, et le Brigadier Edmond Blais, commandant du 5ème District Militaire.

Marthe Simard lors du discours prononcé sur la terrasse Dufferin le 23 août 1944, à l’occasion de la Libération de Paris. Source : Le Soleil
L’Assemblée consultative provisoire regagne Paris après la Libération. Le 7 novembre, Marthe Simard y rejoint onze autres femmes, dont Lucie Aubrac. Le général de Gaulle demande à Marthe Simard de demeurer en France pour y faire une carrière politique. Elle décline l’invitation et préfère retourner à Québec auprès de sa famille.
Dénuée de toute ambition politique – elle disait n’avoir agi que par sens du devoir envers sa patrie – et effacée de toute vie publique, elle meurt à Québec en 1993, à l’âge de 92 ans. En 2008, la Ville de Québec lui rendra un premier hommage à travers son programme d’épigraphe, en posant une plaque sur le 59 de la rue D’Auteuil afin de rappeler que là vécut Marthe Simard, « Militante d’origine française, [qui] fonda ici, lors de la Seconde Guerre mondiale, le premier comité de résistance hors de France, point de ralliement de la France libre au Canada ».
Mise en jour :
En 2012, Frédéric Smith partageait le fruit de ses recherches dans un ouvrage publié aux Éditions VLB. Cliquez ici pour en savoir plus.

Un ouvrage fouillé qui ne manquera pas de passionner ceux qui s’intéressent à l’histoire du Québec, de la France et de la Résistance.
En juin 1940, la France capitule devant l’Allemagne nazie. Depuis Londres, la voix d’un général inconnu, Charles de Gaulle, s’élève pour inviter ses compatriotes à poursuivre le combat. C’est la naissance de la France libre. Le 1er août, de Gaulle lance un appel particulier au Canada français: «L’âme de la France cherche et appelle votre secours», dit-il alors, «parce que le destin a fait du Canada la terre d’union de l’Ancien et du Nouveau Monde.» Marthe Simard, une jeune Française établie à Québec, met sur pied un comité d’appui au mouvement gaulliste. Frédéric Smith redonne la parole à ses animateurs.
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