Par Sébastien Vincent

 

Gilles Duguay, Le Triangle Québec-Ottawa-Paris. Récit d’un ancien ambassadeur canadien, Québec, Septentrion, 2010, 640 p.

 

Dans cet ouvrage foisonnant qui se donne pour ambition de démontrer l’émergence internationale du Québec, de Samuel de Champlain à Nicolas Sarkozy, l’ancien ambassadeur Gilles Duguay consacre deux passionnants chapitres à la diplomatie canadienne durant la Seconde Guerre mondiale. 

Un chapitre présente Georges P. Vanier (1888-1946), qui fut combattant de la Grande Guerre dans les rangs du Royal 22e Régiment. Né d’un père canadien-français et d’une mère irlandaise, il fréquenta le collège Loyola. Major à 30 ans, il fut blessé sur les champs de bataille de France, puis décoré. Ces pages éclairantes décrivent ensuite l’évolution du parcours de l’homme jusqu’à son accession au poste de ministre du Canada à Paris. 

Le chapitre suivant, entièrement consacré à la guerre 39-45, présente les réalisations de Vanier, débarqué à Londres le 25 juin 1940, quelques jours à peine après la chute de Paris aux mains des Allemands. Le lecteur assiste alors aux valses diplomatiques qui se jouèrent depuis Londres, Ottawa, Alger ou Paris, libéré en août 1944. Vanier fut reçu à diner chez Charles de Gaulle, leader de la France Libre, avec qui il se lia d’amitié. Un beau morceau d’histoire politique et diplomatique!  

Gilles Duguay ne se prétend nullement historien, ce qui n’empêche en rien son propos d’être largement documenté, comme en témoigne la bibliographie succincte, mais pertinente. Il propose une véritable fresque qui embrasse l’ensemble de l’histoire diplomatique du Québec, avec Ottawa et Paris, entre le traité de Paris (1763), qui mit un terme à la Guerre de Sept Ans, et les problèmes actuels que connait la francophonie.

Des passages intéressants décrivent des incidents restés secrets jusqu’à ce jour, notamment celui de l’exclusion du Canada, en 1984, des préparatifs de la commémoration du 40e anniversaire du débarquement allié du 6 juin 1944.

Enfin, il donne à lire des portraits des grands acteurs de la diplomatie québécoises que furent, entre autres, Les Dupuy (père et fils) et Louise Beaudoin.

Un ouvrage dans lequel on entre comme dans un bon roman!

L’auteur

Officier de marine, avocat, boursier Rhodes à Oxford, Gilles Duguay a débuté sa carrière comme professeur au Zaïre et au Rwanda. Il est entré dans le service diplomatique canadien au moment de l’affaire de Gaulle. Nommé à Dakar, puis en Turquie, il revient au Sénégal comme conseiller régional itinérant auprès de vingt-deux chefs d’État d’Afrique francophone. Ambassadeur du Canada au Cameroun, au Maroc et en Roumanie, il a également été en poste à trois reprises à Paris. Il a ensuite enseigné aux universités de Montréal, Concordia et McGill.

Gilbert Lavoie, Blessures de guerre. Des camps nazis à l’Afghanistan, Québec, Septentrion, 2010, 148 p.

Ce bouleversant essai qui se lit comme un reportage ciselé en brefs chapitres s’ouvrent sur les souvenirs de guerre de Gilles Lamontagne, ancien maire de Québec et ex-ministre libéral de la Défense sous le règne de Pierre-Elliot Trudeau. Le flight lieutenant Lamontagne servit avec le 425e escadron « Alouette » pendant la Seconde Guerre mondiale. Son appareil fut abattu et l’homme fut fait prisonnier par les Allemands. Il s’en suivit une période de détention dans les camps nazis que Lamontagne n’oubliera jamais : «Tu ne peux pas comprendre… Tu ne peux pas comprendre ce que c’est que d’être sale tous les jours, que d’avoir faim tous les jours, et de ne pas savoir si tu seras vivant le lendemain ». 

Les traumatismes sont le propre de toutes les guerres, rappelle l’ancien combattant. Comme tant d’autres vétérans, il s’est muré dans le silence, explique-t-il, avant de s’ouvrir, à 91 ans, par compassion envers ses cadets, c’est-à-dire ces jeunes, déjà anciens combattants, qui ont servi dans les Forces canadiennes dans le cadre de missions de paix ou en Afghanistan.

Outre celui de Gilles Lamontagne, l’ouvrage repose sur de nombreux témoignages. Ceux de vétérans de missions de paix, notamment en Bosnie et au Rwanda. D’autres de militaires revenus d’Afghanistan. Ils vécurent des moments de violence inouie. Ces hommes, souvent dans la vingtaine ou la trentaine, souffrent de séquelles parfois physiques telle une blessure mutilante. Mais aussi, et surtout, l’auteur s’intéresse à ceux qui souffrent de blessures psychologiques: cauchemars, flashbacks, troubles du sommeil et de la mémoire, sentiment d’isolement, désespoir, culpabilité, agressivité, alcoolisme et suicide sont autant de manifestations du syndrome de stress post-traumatique (SSPT). 

Malgré des statistiques controversées, le SSPT est documenté, mais demeure tabou dans l’armée. Bien que des centaines de membres des Forces revenus d’Afghanistan souffrent de blessures physiques et mentales, les autorités donnent encore l’impression de les oublier. Les militaires hypothéqués font  ainsi  face à des lourdeurs administratives, ils bénéficient de sommes forfaitaires insuffisantes et de services déficients. 

L’ouvrage est également fondé sur des témoignages de conjointes de militaires qui démontrent combien ces dernières mènent aussi leur guerre en assumant seules les responsabilités domestiques et parentales alors que les enfants semblent généralement bien vivre l’absence du père. L’auteur a aussi rencontré des psychologues et des intervenants. On comprend ainsi que ce n’est pas de la pitié dont ont besoin les blessés de l’âme et du corps revenus au pays, mais de programmes de prévention et de soins fondés sur la résilience, explique l’auteur. Il s’agit là d’un défi humain et médical colossal. Assurément, le propos réussit à « faire connaitre le prix énorme payé par nos militaires et leurs familles pour assumer les missions que nous leur confions à l’étranger ». 

L’auteur

Chroniqueur politique au Soleil, Gilbert Lavoie a commencé sa carrière à la radio de CKAC et à TVA à Montréal. Il a été journaliste à La Presse pendant 15 ans, pour occuper ensuite le poste de secrétaire de presse du premier ministre Brian Mulroney de 1989 à 1992. Il a également été rédacteur en chef du Droit d’Ottawa et du Soleil jusqu’en 2001. En 2009, il a publié au Septentrion Jean Pelletier. Entretiens et témoignages.


Sébastien Vincent