Pas de relâche côté lecture cet été avec la commémoration du centenaire du début de la Grande Guerre et le 70e anniversaire du Débarquement de Normandie.
Voici quelques suggestions de livres récemment parus autour du Débarquement et la présentation d’un classique de l’histoire militaire.
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Autour du Débarquement de Normandie
Sacrifice, Isabelle Clarke, Daniel Costelle et Frédéric Lalumière, Paris, Acropole, 2014, 279 p.
Comme pour les précédents ouvrages d’Isabelle Clarke et de Daniel Costelle (Apocalypse, Hitler), la puissance des images nous happe au premier regard en ouvrant Sacrifice. Album photo grand format en couleur et en noir et blanc, Sacrifice raconte, en collaboration avec le réalisateur franco-américain Frédéric Lalumière, les préparatifs du Débarquement de Normandie, puis les combats qui s’en suivirent jusqu’à la libération de Paris, le 26 août 1944.
Les quelque 800 photos souvent saisissantes d’hommes, de femmes, d’enfants, anonymes civils ou militaires faisant ou subissant la guerre nous immergent au coeur des événements. Nombre de ces photographies colorisées sont en fait des images arrêtées tirées du film Sacrifice diffusé sur TF1, réalisé pour le 70e anniversaire du Débarquement et de la libération de Paris. Elles sont donc pour la plupart inédites. Les autres, souvent méconnues et provenant d’archives américaines notamment, n’ont pas été intégrés dans le montage final. L’album complète ainsi le documentaire.
Les témoignages ajoutent les mots aux images : « Nous croisons des corps ensanglantés sur l’eau. Les hommes encore en vie nous crient de les secourir. L’ordre est de ne pas s’arrêter. Nous serrons les dents, nous détournons le regard », raconte un G.I. de 31 ans. Et ce caporal allemand de 22 ans : « Je tire sur tout ce qui bouge dans l’eau et sur la plage. On m’amène au moins huit mille cartouches. C’est comme des agneaux à l’abattoir ». Troublant.
Histoire du Débarquement. Janvier – juillet 1944, Carlo D’Este, traduit de l’anglais par Jacques Bersanie et Pierre Jourdan, préface d’Olivier Wieviorka, Paris, Perrin, 2013
Hollywood et les grandes commémorations ont contribué à forger une image mythique du débarquement de Normandie. L’opération Overlord aurait été le fruit d’une soi-disant harmonie entre Londres et Washington. Elle a souvent été « présentée comme une opération dont le succès était d’emblée garanti grâce aux moyens considérables déployés par les Alliés », rappelle Olivier Wieviorka dans sa préface de l’essai de Carlo D’Este, enfin traduit en français trois décennies après sa publication originale. Or, la réalité s’est avérée beaucoup plus complexe et sanglante.
À la lumière de documents déclassifiés, de journaux personnels et d’entretiens, D’Este, ancien lieutenant-colonel de l’armée américaine, a été le premier historien à décrire minutieusement les dessous de la plus grande opération logistique de débarquement de l’histoire et à remettre en cause nombre d’idées reçues à son sujet.
Outre les amers débats qui résonnent encore autour de la « poche de Falaise », la controverse entourant le maréchal Montgomery, qui a échoué à conquérir Caen rapidement en qualité de commandant des forces terrestres alliées, occupe une place importante dans l’argumentaire. À un point tel qu’un critique du New York Times y a vu une charge contre « Monty », lequel a toujours soutenu que les événements s’étaient déroulés selon ses plans.
Alors que le public anglophone dispose, sur le Jour J, d’une vaste bibliographie, les lecteurs francophones s’avèrent moins choyés. C’est dire combien cette traduction du classique de D’Este, qui jouit d’une solide réputation d’historien dans le monde anglo-saxon, trouve sa place aux côtés des ouvrages plus récents d’Antony Beevor et d’Olivier Wieviorka consacrés au débarquement et à la campagne de Normandie.
Histoires vécues du débarquement, Alain Stanké et Jean-Louis Morgan, Paris, L’Archipel, 2014
L’éditeur présente l’ouvrage en ces termes :
« Ce jour-là, à Juno Beach, ils furent des milliers à perdre la vie. À l’aide de témoignages bouleversants, Alain Stanké et Jean-Louis Morgan racontent l’épopée des fantassins et officiers canadiens mais aussi celle de Normands dont plus de vingt mille furent les victimes « collatérales » des bombardements.
Parmi les témoignages, celui de Maurice Tremblay, le premier à soigner le para américain John Steele, resté accroché au clocher de Sainte-Mère-Église ; celui d’une fillette de dix ans (maintenant octogénaire) qui offrit un foulard à son libérateur canadien et qui le retrouva des décennies plus tard. Mais aussi le récit inédit de Charly Forbes, lieutenant d’infanterie qui devint le combattant canadien le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale.
Documents classés « secrets », récits de pilotes, redécouverte d’un souterrain par des enfants qui s’y cachèrent, souvenirs d’un couple qui eut l’idée peu banale de se marier un certain 6 juin 1944 côtoient les aventures incroyables d’agents canadiens et québécois du MI9 et de la SOE britanniques ».
Histoire de la résistance 1940-1945, Olivier Wieviorka, Paris, Perrin, 2013
Le rôle de la résistance dans les opérations du Débarquement et durant la campagne de Normandie est largement documenté. Véritable travail d’historien à mille lieux des polémiques partisanes qui ont parfois cours lorsqu’on aborde la vaste problématique de la Résistance en France, le riche ouvrage d’Olivier Wieviorka aborde sans tabous l’ensemble des enjeux de la Résistance, depuis la formation des premiers réseaux vers juin 1940 jusqu’au couronnement de 1944 alors que les Alliés foulaient le sol français.
On retrouve dans cet ouvrage la rigueur et la fluidité de style propres à l’auteur de la passionnante Histoire du Débarquement en Normandie, (Seuil 2007). Wieviorka aborde avec les conflits internes, les ambitions des promoteurs de l’armée des ombres, le rôle de la presse clandestine, la répression allemande, les motifs de l’engagement, les idées politiques de la Résistance et sa mémoire dans la France contemporaine. Une vaste bibliographie complète cette synthèse accessible et vivante qui fera date.
Et pourquoi pas un classique de l’histoire militaire?
Anatomie de la bataille, John Keegan, Paris, Perrin, 2013
Voici un ouvrage qui a largement contribué au changement de perspective historiographique insufflé par la notion de culture de guerre. Dans The Face Of Battle (1976) ici traduit, John Keegan a remis en cause la rhétorique du récit de bataille traditionnel tirant ses origines des textes grecs.
Répandu en histoire militaire depuis le XIXe siècle, le récit de bataille traditionnel privilégie le point de vue opérationnel et stratégique en abordant les faits et gestes du haut commandement ainsi que les grands mouvements de bataillons. Sa principale caractéristique, rappelle Keegan, est de présenter la guerre « d’en haut » à partir de concepts abstraits tels la victoire et la défaite. Cela a pour effet d’omettre les faits matériels et psychologiques des hommes au combat.
En plaçant ces derniers au centre de son analyse de la bataille d’Azincourt, de Waterloo et de La Somme dans Anatomie de la bataille, l’historien montre combien le soldat lutte pour sa survie dans un environnement instable, irrationnel, dangereux et chaotique qui lui fait percevoir le champ de bataille « d’en bas », à une échelle réduite à sa guerre. On ne peut que saluer la réédition en grand format de ce grand classique de l’histoire militaire qui nous fait mieux comprendre l’angle d’approche du phénomène guerrier aujourd’hui si répandu.
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