Par Sébastien Vincent
Voici en vrac d’autres propositions de lectures au temps où « les feuilles mortes se ramassent à la pelle », comme chantait Yves Montand.
Hugues Théorêt, Les Chemises bleues. Adrien Arcand, journaliste antisémite canadien-français, Québec, Septentrion, 2012
Cette biographie fouillée reposant sur des sources nombreuses et variées est parue il y a quelques mois. Largement illustrée, elle s’adresse autant à un vaste public qu’aux spécialistes. « Alors qu’Adolf Hitler s’empare du pouvoir en Allemagne, est-il écrit en quatrième de couverture, Adrien Arcand jette au Québec les bases du Parti national social chrétien. Ses membres, appelés les Chemises bleues, portent l’uniforme militaire et arborent la croix gammée. Arcand voit des complots juifs partout. Son discours trouve écho chez des adeptes qui, comme lui, cherchent un bouc émissaire à tout le mal qui ronge la société.
Même après son emprisonnement durant la Seconde Guerre mondiale, le fanatique Adrien Arcand continue à correspondre avec les têtes de pont de l’antisémitisme. Jusqu’à sa mort en 1967, il poursuit sa campagne de propagande contre les communistes et les Juifs. Hugues Théorêt détaille en toute objectivité une période sombre de l’histoire idéologique du Québec dans une recherche précise et rigoureuse ».
Longtemps occulté, Adrien Arcand est sorti de l’ombre depuis quelques années. Les historiens commencent à s’intéresser à lui. De fait, Jean-François Nadeau a publié une biographie de l’homme en 2010. Les deux ouvrages lus l’un à la suite de l’autre dressent un portrait exhaustif, troublant et probablement définitif de cette triste figure de l’extrême-droite au Québec.
François Kersaudy, Les Secrets du IIIe Reich, Paris, Perrin, 2013
En s’appuyant sur des documents inédits, l’historien François Kersaudy, biographe notamment de Churchill et d’Hitler, chef de guerre, dévoile au fil de huit chapitres denses et documentés quelques pans méconnus de l’histoire des nazis.
Comment Hitler a-t-il multiplié les efforts et les cadavres pour dissimuler ses origines juives? Quel est le secret de l’envoûtement exercé sur les foules par cet artiste peintre au physique ingrat et au discours haineux? Comment le régime national-socialiste a-t-il pu survivre pendant douze ans, alors que tous ses dirigeants ne cessaient de se combattre? Que s’est-il vraiment produit durant la Nuit des longs couteaux? Quelle est la vérité sur l’affaire Rudolf Hess, qui a donné lieu à tant de publications fantaisistes? Quelle était la nature exacte des relations d’Hitler avec les femmes? L’amiral Canaris était-il un traître ou un héros? Qu’y a-t-il de vrai dans les informations contradictoires publiées sur la santé d’Hitler, au vu des notes prises par ses médecins?
Kersaudy se garde de faire table rase de tout ce qui s’est écrit jusqu’à présent, comme en font fois la bibliographie sélective ainsi que la liste des archives et des recueils de documents consultés. Il se garde tout autant d’apporter des révélations aussi sensationnelles qu’invérifiables. Son récit a entre autres pour mérite de partager les faits de la fiction. Par exemple, Kersaudy nous apprend que l’Allemand des Sudètes Oskar Schindler, immortalisé par Steven Spielberg, aurait été à partir de 1936 un agent de l’Abwehr dans sa région natale de Tchécoslovaquie, puis en Pologne à partir de 1939. Son action de sauvetage des juifs aurait donc été menée grâce à la couverture de l’Abwehr de l’amiral Canaris et du Bureau des armements du général Thomas, qui s’employaient à résister contre Hitler. Passionnant.
François-Emmanuel Brézet, La Traque du Bismarck. Les derniers jours d’un mythe, Paris, Perrin, 2013
L’éditeur présente en ces termes l’ouvrage de François-Emmanuel Brézet : « Lors de l’arrivée de Hitler au pouvoir, il fut décidé de porter la Kriegsmarine à un niveau jamais atteint. Début mai 1941, le grand amiral Raeder envoie en opération le cuirassé Bismarck et le croisseur lourd Prinz Eugen, les deux fleurons de sa flotte. L’opération Rheinübung tourne vite à la tragédie. Dans le détroit du Danemark, les navires allemands affrontent le Hood et le Prince of Wales. Le premier explose, entraînant la mort de la quasi-totalité de ses 1 419 hommes d’équipage, tandis que le second est gravement endommagé. Quant au Bismarck, les coups reçus le contraignent à interrompre sa mission et à faire route vers un port français. C’était offrir à la flotte anglaise l’occasion d’une gigantesque traque. Le Bismarck est rapidement immobilisé et le lendemain, après un combat sans espoir, il est envoyé par le fond avec ses 2 000 hommes d’équipage. Sa disparition marquera le crépuscule des navires de ce type et la fin pour la Kriegsmarine des grandes opérations de surface. Un récit haletant d’une rare intensité dramatique ».
Ancien officier de marine, François-Emmanuel Brézet est l’auteur notamment d’une Histoire de la marine allemande (1939-1945) et d’une biographie de l’amiral Karl Dönitz présentée sur ce site.
Keith Lowe, L’Europe barbare, 1945-1950, Paris, Perrin, 2013
Voici la recension du livre de Keith Lowe parue dans le journal Le Monde sous la plume de l’historien Christian Ingrao :
« Drôle de traduction que celle du titre du bel ouvrage de Keith Lowe : le « continent sauvage » initial est devenu L’Europe barbare. Et pourtant nous voici en présence d’un ouvrage utile en ce qu’il nous remet, d’un ton enlevé, en présence d’un univers qui a perdu de sa familiarité – mais non de sa brûlante présence – pour la grande majorité des Européens du début du XXIe siècle.
Le livre de Keith Lowe, écrivain et historien, est le résultat d’une enquête soigneuse qui brosse un portrait cru de l’Europe de 1945. Et interroge ce que « sortir de guerre » veut dire. En une trentaine de chapitres denses, l’auteur part de l’héritage de la guerre et traite longuement de l’immense anomie qui sévit en Europe entre 1945 et 1948-1949. Il y décrit très bien l’inextinguible soif de vengeance de populations martyrisées, les politiques diversement contrôlées et insufflées de nettoyage ethnique qui préside à la gigantesque « remue d’hommes » que connaît alors l’Europe – surtout orientale. Il consacre enfin sept chapitres aux guerres civiles plus ou moins masquées qui s’agencent sur tout le continent ou presque.
Exodes, meurtres, viols, haines et vengeances
Keith Lowe synthétise une vague de recherches née à la fin des années 1990 et arrivée à maturité dans les années 2000 qui a fait réémerger la tourmente des années succédant immédiatement au second conflit mondial tourmente d’une libération, tourmente d’une seconde occupation pour certains territoires ; tourmente, pour tous, d’exodes, de meurtres, de viols, de haines et de vengeances… Pour tous ? Keith Lowe nuance le propos, et c’est l’un des mérites du livre que de montrer les gradients Nord-Sud et Est-Ouest qui rendent compte des inégalités de destins entre les différentes nations protagonistes de cette sortie de guerre.
Autre mérite du présent livre : fournir des développements peu disponibles aux lecteurs français sur tel ou tel pays. Il existait en effet jusqu’ici peu de travaux en France donnant une vision détaillée de ce qui s’est passé en Yougoslavie ou en Tchécoslovaquie ; Keith Lowe livre des chapitres détaillés et remarquablement écrits sur le destin de la Slovénie, de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine, ainsi que sur les massacres des collaborateurs nazis qui s’y sont déroulés. En la matière, le travail de Keith Lowe est remarquable : les témoignages sur lesquels il s’appuie sont extrêmement marquants et le chiffre de 70 000 exécutions qu’il évoque est le seul qui puisse être considéré comme fiable. Keith Lowe montre de façon suggestive comment les dimensions religieuse et ethnique du conflit accouchèrent d’un massacre d’une ampleur inouïe, parce qu’accepté et planifié par le mouvement titiste en instance d’étatisation dès les semaines qui suivirent la fin des combats.
Arrestations arbitraires
De même, on savait peu de chose, en France, sur l’arrivée au pouvoir des communistes en Roumanie : le chapitre que Keith Lowe lui consacre est l’un des plus réussis de l’ouvrage. L’auteur décrit comment le processus démocratique conduisit la Roumanie de l’arrestation du dictateur Antonescu par le roi le 23 août 1944 au stalinisme quasi parfait, définitivement installé en 1949. Cette démocratie fut à l’évidence profondément manipulée, traversée d’arrestations arbitraires et d’intimidations – les syndicats et les Eglises en furent les principales victimes – et conduisit de manière paradoxale, selon Keith Lowe, à la mise en place d’un régime profondément répressif.
On peut ici cependant exprimer un désaccord avec l’historien britannique, qui, en rappelant la très grande brutalité du régime communiste, prend le risque d’édulcorer la violence du régime de son prédécesseur, Antonescu, et omet notamment de rappeler que la dictature de ce dernier fut l’une des seules à mener une politique d’extermination directe des juifs situés à la fois sur son territoire et sur la zone d’occupation qu’il eut à administrer en URSS occupée.
Malgré ce désaccord factuel fondamental, on ne peut que saluer la traduction de ce livre, d’autant plus stimulant qu’il appelle la discussion sur un plan plus général : Keith Lowe a certes écrit un très beau livre sur le processus de sortie de guerre de l’Europe de 1945 à 1949, un livre qui cependant doit être lu combiné à Terres de sang, de Tim Snyder, qui est seul à même de lui donner la profondeur historique qui manque pour comprendre – et non simplement décrire, même brillamment – certains mécanismes de la tornade de violence qui s’acheva dans les années 1949-1953 en Europe de l’Est. Mais il faut néanmoins rappeler aux deux auteurs que cette tornade prit son essor quelque part entre 1905 – essentiellement pour la Russie – et 1914, et qu’elle est donc née de la guerre totale et mondiale qui saisit alors le continent ».
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