Sébastien Vincent
texte inédit

L’Alouette nous a quittés pour son ultime vol dans la nuit du 30 au 31 décembre 2013 après une vie si remplie.

L’Alouette, c’est un homme hors du commun : l’ancien combattant Gilbert Boulanger. Originaire de Montmagny, engagé volontaire à 18 ans par amour de la vie aventureuse de l’aviateur, l’Alouette n’était pourtant pas faite pour la violence des combats. Les hasards de la guerre l’ont mené à devenir mitrailleur sur des bombardiers du 425e escadron Alouette durant la Seconde Guerre mondiale. En plus de survivre à l’écrasement de son appareil, il a participé à plus de 37 missions de bombardement au-dessus de l’Italie, de la France et de l’Allemagne entre 1943 et 1945.

Gilbert Boulanger du haut de sa chambre d’hôtel, Courseulles-sur-Mer, juin 2010.

Après la guerre, Gilbert Boulanger a entre autres été agent de voyage dans la région de Sherbrooke, là où il avait posé son nid. Membre du Panthéon de l’aviation du Canada, il a construit à 84 ans un biplace avec son ami Denis. 

À 82 ans, il a publié, d’abord à compte d’auteur, ses touchants souvenirs de guerre sous le titre L’Alouette affolée, ensuite paru en 2010 chez LUX Éditeur. L’homme avait le tact et la sensibilité du conteur authentique qui a su garder la candeur du jeune homme qu’il a été.

L’Alouette a reçu un grand honneur en Normandie. En 2010, la commune de Courseulles-sur-Mer a donné à son école primaire le nom de Gilbert Boulanger. Qu’il a été touchant de mesurer combien était immense la reconnaissance des Normands envers les Canadiens. Tout cela concentré sur un homme en un inoubliable moment. L’Alouette a su témoigner avec sensibilité, à chaque fois, en insistant sur un point qui lui tenait tant à coeur : « Ce ne sont pas ceux qui survivent qui sont des héros, ce sont ceux qui sont en terre qui le sont ».

On l’aura remarqué dans le superbe documentaire Gilbert Boulanger, aviateur de guerre[1] diffusé sur les ondes de Radio-Canada et de RDI il y a quelques mois, l’homme avait une magnifique prestance et une sensibilité à fleur de peau. Ses mots nous touchaient droit au coeur. 

Gilbert Boulanger a voulu contribuer à la reconnaissance de la participation des hommes comme lui  à l’une des plus grandes tragédies du XXe siècle. Non pas pour se forger une image de héros, mais pour rappeler les disparus, entre autres à la mémoire québécoise.

Évoquant dans ses souvenirs de guerre la rencontre avec un ancien combattant russe en avril 2002, il a écrit : « Nous étions des survivants! Nous le savions. Cela suffisait. Peut-être qu’en nos âmes résidait un sentiment de culpabilité, du fait d’être là, vivants, malgré la mort des autres, malgré tout. » Jusqu’à la fin, cette sensibilité, cette culpabilité d’être parmi les survivants.

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J’ai connu l’Alouette il y a plus de huit ans par livres interposés. J’avais pris connaissance de la publication de ses souvenirs dans un article du Devoir signé par le journaliste et historien Jean-François Nadeau. Ce dernier m’a transmis l’adresse courriel de M. Boulanger auquel je me suis empressé d’écrire. Lors de notre premier échange virtuel, il m’a précisé être à la lecture de Laissés dans l’ombre, mon premier essai.

La table était mise pour une amitié intellectuelle qui se développa malgré les quelque cinquante ans qui nous séparaient! Avec le temps, il m’a appelé son « vieil ami ». Je l’appelais mon « jeune ami ». Les mots pour narguer le temps.

Ensemble, nous avons parlé du passé, du présent et de l’avenir. De livres aussi. Il a tenu tendrement mes filles sur ses genoux, nous a invités chez lui, avait toujours de mots doux pour mon épouse. Un gentleman jusqu’au bout des doigts, un homme fier et droit sur qui le temps commençait à faire ses méfaits ces derniers temps. Il a été un grand-père spirituel pour moi, mon épouse Marie-France et pour nos filles Rosalie et Béatrice qui l’adoraient.

Au cours de nos échanges, combien de fois l’Alouette m’a entretenu avec amour de sa douce Mary, sa belle Anglaise rencontrée à Londres du temps de la guerre, ramenée à Montmagny la paix revenue, aujourd’hui disparue. Une superbe photographie d’elle trônait dans le bureau de son appartement. Lorsque l’Alouette posait son regard sur celle-ci, un monde de souvenirs ressurgissait dans son esprit. Un large sourire éclairait son visage.

C’est justement ce visage lumineux, cette chaleureuse voix, que je conserverai auprès de mon coeur.

Du haut du ciel que vous avez tant aimé, puissiez-vous continuer de nous couvrir de votre chaleureuse présence. Merci mon « jeune ami » d’avoir croisé mon chemin. Ce fut pour moi un privilège.




[1] Documentaire réalisé par Robert Tremblay. On peut en voir un extrait à http://www.pvp.ca/fr/productions/gilbert-boulanger-aviateur-guerre#.UsQ1prT7v2A

 


Les médias rendent hommage à Gilbert Boulanger :

L’«aviateur de guerre» Gilbert Boulanger n’est plus
(Le Soleil, 3 janvier 2014)
Gilbert Boulanger, le plus Courseullais des Québecois est mort
(Liberté.fr, 3 janvier 2014)
Nécrologie : le vétéran Gilbert Boulanger n’est plus
(Tendance Ouest – Caen, 3 janvier 2014)
L’aviateur Gilles Boulanger s’éteint à 91 ans
(La Tribune, 3 janvier 2014)
Gilles Gilbert Boulanger meurt à l’âge de 91 ans – Reportage vidéo
(Radio-Canada – Estrie, 4 janvier 2014)
Courseulles perd un de ses libérateurs
(La Manche Libre, 4 janvier 2014)
Bon vol, grand ami!
(La Presse, 6 janvier 2014)
De guerre lasse
(Jean-François Nadeau, Le Devoir, 6 janvier 2014)
L’aviateur mitrailleur Gilbert Boulanger est décédé
(Le Placoteux, 7 janvier 2014)

 

 

Sébastien Vincent